Une soirée époustouflante
On n'avait pas vu Les Pêcheurs de Perles au Met depuis l'époque du grand Caruso. Après des décennies d'absence, cet opéra de Bizet revient sur la première scène américaine sous l'impulsion de Diana Damrau.
La mise en scène de Penny Woolcock est un des atouts majeurs de la soirée. Elle transpose avec succès l'action dans une sorte de bidonville bordé par la mer. Les chanteurs évoluent sur des ponts, des escaliers et même des barques. L'orage du final de l'acte II est rendu avec brio. Quant à l'incendie final, il est d'une vraisemblance effrayante. Mais la grande surprise, c'est ce magnifique lever de rideau sur un écran bleu (la mer) où des acrobates plongent pour chercher des perles. Quelle merveille ! De plus, on ne peut que louer cette direction d'acteurs impeccable qui permet à chaque artiste d'aller au bout de son personnage.
Dans la fosse, Gianandra Noseda et l'orchestre du Met soutiennent le drame. On apprécie particulièrement cette capacité à créer des atmosphères calmes et recueillies dans les prières ou déchaînées et effrayantes dans les finals des actes II et III. Les choeurs sont incroyables d'homogénéité, d'intensité et de crédibilité dramatiques.
Chez les chanteurs, on est tout simplement charmé par les voix et la diction pafaite des quatre artistes. Nicolas Testé, tout d'abord, est un excellent prêtre. Sa voix est grave et ronde, le timbre chaud, l'artiste d'une grande autorité; que demander de plus ?
Matthew Polenzani reprend le flambeau de Caruso en Nadir. Il triomphe haut la main de son rôle. Sa voix est claire, habile dans les passages les plus assassins de la partition. Son personnage est habilement dessiné. On voit réellement Nadir, amoureux fou de Leïla et conscient de trahir ses serments.
Son puissant rival est incarné par Mariusz Kwiecien, voix de bronze aux reflets de basse. Le baryton polonais est sidérant dans le rôle de Zurga. A l'acte I, il est tout dévoué à son village et à Nadir. Mais à l'acte II, quand il découvre la trahison de Nadir, le chef des pêcheurs s'efface pour laisser place à l'ami trompé et furieux. Sa condamnation des amants est terrifiante. Puis vient l'acte III, après son air "Ô Nadir" tout en introspection douloureuse, c'est le duo avec Leïla. D'une violence terrible, l'affrontement fait froid dans le dos. Quelle rage on sent dans la voix de l'artiste, quel investissement dramatique ! Mariusz Kwiecien revient sur scène au final pour délivrer les amants. Après un bref mais somptueux trio avec Diana Damrau et Matthew Polenzani, il s'effondre devant le village en feu. On ne peut que s'incliner devant cette performance. Bravo !
Enfin, Diana Damrau est Leïla. La soprano trouve ici un de ses plus beaux rôles. Pendant sa profession de foi à l'acte I, ses "Je le jure" annonce déjà le drame. La prière "Ô dieu Brahma" montre la chanteuse très à son aise et à son avantage dans ces vocalises aigues et agiles. Et quelle tendresse, quelle innocence dans cette prière qui devient un chant d'amour. La Leïla qu'on retrouve après l'entracte va évoluer. Après un enchanteur "Ton coeur n'a pas compris le mien" avec Matthew Polenzani, elle devient victime d'une loi qui la condamne à une mort affreuse. On sent dans le chant devenu plus corsé le désespoir du personnage. A l'acte III, sa rencontre avec Zurga est un des sommets de l'oeuvre. Elle se jette à ses pieds, supplie puis menace. Puis, quand elle comprend que tout est perdu, la malédiction qu'elle lance sur Zurga laisse cloué dans son fauteuil. Le final est exécuté à merveille. On sent d'abord toute sa résignation à son sort puis son bonheur quand elle est réunie à jamais à celui qu'elle aime.
On sort de cette soirée conquis et enchanté. On n'oubliera pas de sitôt une telle représentation où chant et jeu, où musique et théâtre ont été si bien mariés.
Les Pêcheurs de Perles, Georges Bizet
Leïla :Diana Damrau
Nadir : Matthew Polenzani
Zurga : Marius Kwiecien
Nourabad : Nicolas Testé
Direction musicale : Gianandrea Noseda
Mise en scène : Penny Woolcock
Orchsetre et choeurs du Metropolitan Opera de New York
Metropolitan Opera, 16 janvier 2016