Une réussite vocale
Quand Jonas Kaufmann chante au Festival de Salzburg, on peut être sûr que les places se vendront en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. C’est en effet ce qui est arrivé pour ce Fidelio de Beethoven, sold out des mois avant la première.
Une demi-heure avant le début de la seconde représentation, les rues voisines du Großes Festspielhaus sont le théâtre d’embouteillages et de voitures luxueuses. Devant la salle, le public afflue, vêtu de ses plus beaux atours. D’autres, moins chanceux que ceux qui possèdent leur billet, tentent d’en racheter un.
Enfin, l’opéra commence. L’ouverture sera interprétée avec brillo, comme tous les autres morceaux orchestraux de la soirée, par un Wiener Philarmonik particulièrement en forme et récompensé, ainsi que son chef Franz Welser-Möst, par des applaudissements délirants. Le Konzertvereinigung Wiener Staatsoperchor tire également son épingle du jeu avec beaucoup de panache. Le chœur des prisonniers du I est un instant de toute beauté, chaleureusement récompensé par le public.
La mise en scène de Claus Guth n’obtient malheureusement pas le même succès. Pendant l’ouverture Leonore contemple le visage de son mari Florestan projeté sur le rideau noir baissé. Ce dernier se lève sur une pièce aux murs blancs ornés de moulures et au parquet impeccablement ciré. Un pavé noir pivotant aux dimensions titanesques se tient au centre du décor. Au deuxième acte, la prison de Florestan sera cette même pièce avec un sol en pente raide, une tombe creusée à la place du pavé, ce dernier planant sur la scène. Le final sera, lui, chanté dans la pièce du I, le sol recouvert de moquette rose et un lustre immense remplaçant le pavé. Malheureusement ces décors simples et épurés deviennent rapidement gênants. En effet, Claus Guth a pris le parti de supprimer tous les dialogues parlés, ce qui ôte beaucoup de clarté à l’intrigue, et de les remplacer par de longs moments de silence où le pavé noir tourne sur lui-même en produisant d’horribles grincements, parfois même des sifflements stridents, qui poussent certains spectateurs à se boucher les oreilles. Claus Guth a également imposé à Pizzaro et Leonore un double muet. Si le procédé est plutôt intéressant pour le premier (Pizzaro se retrouve ainsi accompagné d’un sbire meurtrier, tué au II par Leonore), on ne peut pas en dire la même chose pour Leonore. Gesticulant dans tous les sens pendant les numéros musicaux, la comédienne rompt le drame plus qu’elle ne le renforce et empêche Adrienne Pieczonka de jouer réellement son personnage. Le public salzbourgeois ne s’y est pas trompé, huant copieusement le metteur en scène allemand le soir de la première.
Du côté chanteur, le plaisir est au rendez-vous. Olga Bezsmertna est une excellente Marzelline aux aigus percutants et au timbre radieux. Le Jaquino de Norbert Ernst, transformé par la mise en scène en petit bureaucrate, évolue au même niveau. Sebastian Holecek est un Don Florestan de haute tenue aux graves sonores. Le Rocco de Hans-Peter König, très applaudi à la fin de la représentation, est parfaitement crédible scéniquement, bien que la mise en scène l’ait fair passé de gardien de prison à bourgeois endimanché. Le Pizzaro de Thomas Konieczny, particulièrement violent et cruel, est impressionnant d’autorité et de présence scénique. Il parvient, en outre, jouer magnifiquement avec son « double » qu’il manipule comme une marionnette.
En Leonore, Adrienne Pieczonka est éblouissante de maîtrise vocale. La voix est homogène et le timbre chaud. Son air du I est une perle du chant. Son jeu est malheureusement retenu par son « double » qui lui ôte toute crédibilité dramatique. Que dire du Forestan de Jonas Kaufmann ? La voix du ténor bavarois est toujours somptueuse, puissante avec ces couleurs de baryton qui lui donnent un côté mystérieux. L’intensité dramatique dont vibre chaque note laisse stupéfait. L’investissement scénique du chanteur crève les yeux, d’autant plus que Claus Guth fait de Florestan un homme traumatisé, visiblement hanté, qui se roule sur le sol et ne supprote plus qu’on l’approche. On est déçu que le rôle de Florestan soit si court !
Avant que la salle ne résonne des applaudissements d’un public totalement emballé, Claus Guth nous réserve une dernière surprise… Alors que le livret se termine sur une « happy end » (Florestan est libéré et rendu à l’amour de Leonore, Pizzaro puni), le metteur en scène décide de dramatiser l’action. Au moment où l’orchestre joue les derniers accords de l’opéra, le lustre scintillant s’éteint brusquement et Florestan tombe raide mort sous les yeux étonnés et désespérés des deux Leonore.
Distribution
Florestan : Jonas Kaufmann
Leonore (alias Fidelio) : Adrienne Pieczonka
Don Pizzaro : Thomas Konieczny
Rocco : Hans-Peter König
Marzelline : Olga Bezsmertna
Jaquino : Norbert Ernst
Don Fernando : Sebastian Holecek
Leonore (comédienne) : Nadia Kichler
Pizzaro (comédien) : Paul Lorrenger
Direction musicale : Franz Welser-Möst
Mise en scène : Claus Guth
Chef de chœur : Ernst Raffelsberger
WIENER PHILARMONIK & KONZERTVEREINIGUNG WIENER STAATSOPERCHOR