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OpéraBlog
11 septembre 2017

Jonas Kaufmann et l'opéra français

Critique de L’Opéra

            Encore une fois, le monde de l’opéra a les yeux rivés sur Jonas Kaufmann, cette fois-ci à l’occasion de la sortie de son nouveau récital discographique : L’Opéra. Derrière ce titre aussi vague qu’énigmatique se cachent douze airs et deux duos tirés de l’opéra français du XIXème siècle. Le programme, reconnaissons-le, n’est pas des plus originaux. Les tubes y côtoient les tubes, tous les airs français emblématiques pour ténor y sont, depuis « Rachel, quand du seigneur » jusqu’à « Pourquoi me réveiller » en passant « Ah ! Lève-toi, soleil ! » et le duo des Pêcheurs de perles. Armé d’une diction d’une clarté à toute épreuve et d’un timbre toujours aussi séducteur et unique, le ténor allemand s’attaque au grand répertoire français avec un bonheur quelque peu inégal.

            Le disque s’ouvre plutôt mal avec « Ah ! Lève-toi, soleil ! » extrait du Roméo et Juliette de Gounod. Impossible pour le timbre sombre et barytonnant de Kaufmann d’incarner le jeune Montaigu. Ce soleil est bien trop noir, bien trop torturé est ce Roméo. On se croirait plutôt à Venise sous les fenêtres de Desdemona qu’à Vérone tant Kaufmann est éloigné de son personnage. De même, l’air de Mylio dans Le Roi d’Ys de Lalo ne convient pas au chanteur qu’est aujourd’hui Jonas Kaufmann. « Elle ne croyait pas, dans sa candeur naïve » extrait de Mignon pourrait susciter les mêmes réserves, il n’en est rien. Dans cet air, le ténor dessine une ligne de chant très simple, très émouvante, teinte d’une douce mélancolie.

            Avec « Pourquoi me réveiller » et l’air de la fleur, Jonas Kaufmann délivre deux des airs les plus emblématiques de sa carrière. Alors qu’il les avait tous deux enregistrés dans Romantic Arias pour Decca il y a presque dix ans, il en propose ici des versions  encore plus intéressantes. Werther est tout simplement sublime : le désespoir du personnage transperce dans chaque inflexion de sa voix. Quant à l’air de Don José, on y retrouve les exceptionnels piani susurrés du ténor allemand. « Ô Dieu, de quelle ivresse » est sans doute un peu trop tendu dans le haut de la tessiture pour Jonas Kaufmann mais qu’importe tant son chant est exalté et exprime à la perfection l’extase d’Hoffmann. L’air de Vasco de Gama extrait de L’Africaine est un magnifique morceau. Murmurant à l’oreille de l’auditeur l’émerveillement de l’explorateur, le chanteur instaure une tension croissante jusqu’au « Sois donc à moi », chanté avec beaucoup d’émotion.

            Avec Le Cid, Jonas Kaufmann offre une des plus belles pages du disque. La couleur sombre de son timbre est en parfaite adéquation avec la noblesse de Rodrigue. Aigus de bronze, ligne idéalement retenue créent une émotion très sincère. Dans La Juive, le ténor trouve les accents justes pour exprimer la douleur d’Eléazar. Là où l’on est habitué à entendre des voix claires et où certains ont parfois cédé à une tentation vériste malvenue, Jonas Kaufmann est tout en dignité et en introspection. Le « Merci doux crépuscule »  extrait de La Damnation de Faust de Berlioz est impressionnant de maîtrise du texte.  Quelles suaves inflexions sur le « Ô jeune fille, ô ma charmante ! » ! Le monologue d’Enée des Troyens fait bien regretter que sa prise de rôle à Londres en 2012 ait été annulée pour raison de santé. Car quelle maîtrise de la partition ! Quels contrastes entre les passages d’emportement et de remords contenus !

            Rejoint par Sonya Yoncheva pour Manon, Jonas Kaufmann revient avec bonheur au rôle de Des Grieux qu’il n’avait plus chanté depuis 2008 à Chicago. Personnage écartelé entre amour et devoir, il correspond parfaitement à sa personnalité artistique. « Au fond du temple saint » émeut aux larmes quand le timbre chaud et lumineux du très talentueux Ludovic Tézier vient s’apparier idéalement avec celui, si noir et mélancolique de Jonas Kaufmann. Deux voix s’entremêlant sans jamais se couvrir l’une l’autre, dessinant avec la même grâce la délicate mélodie de Bizet, étirant une ligne suave qui semble sans fin, voilà le plus beau souvenir qui reste après l’écoute de ce disque, moins parfait que ce à quoi Kaufmann nous a habitué mais finalement plus qu’excellent.

L'Opéra JK Sony Classical 2017

L’Opéra

Jonas Kaufmann, ténor

Ludovic Tézier, baryton (5)

Sonya Yoncheva, soprano (9, 10)

Bayerisches Staatsorchester

Direction musicale : Bertrand de Billy

 

1.      « L’amour !... Ah ! Lève-toi, soleil ! » - Roméo et Juliette, C. Gounod

2.      « Traduire… Pourquoi me réveiller, ô souffle du printemps ? » - Werther, J. Massenet

3.      « Elle ne croyait pas, dans sa candeur naïve » - Mignon, A. Thomas

4.      « Je le veux !... La fleur que tu m’avais jetée » - Carmen, G. Bizet

5.      « C’est toi, toi qu’enfin je revois !... Au fond du temple saint » - Les Pêcheurs de perles, G. Bizet

6.      « Puisqu’on ne peut fléchir… Vainement, ma bien-aimée » - Le Roi d’Ys, E. Lalo

7.      « Ô Dieu, de quelle ivresse » - Les Contes d’Hoffmann, J. Offenbach

8.      « Pays merveilleux !... Ô paradis » - L’Africaine, G. Meyerbeer

9.      « Enfin, Manon… En ferman les yeux, je vois là-bas » - Manon, J. Massenet

10.  « Toi ! Vous !... N’est-ce plus ma main que cette main presse » - Manon, J. Massenet

11.  « Ah ! Tout est bien fini !... Ô souverain, ô juge, ô père » - Le Cid, J. Massenet

12.  « Rachel, quand du Seigneur » - La Juive, J.F. Halévy

13.  « Merci, doux crépuscule ! » - La Damnation de Faust, H. Berlioz

14.  « Inutiles regrets ! Je dois quitter Carthage ! » - Les Troyens, H. Berlioz

CD Sony Classical 2017

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