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OpéraBlog

8 mai 2017

La récompense de l'audace

            C’était une vraie gageure pour l’Opéra national de Lorraine que de présenter Semiramide, dernier opéra italien de Rossini. C’est une œuvre difficile d’accès, un retour à l’« opera seria » que le compositeur avait quitté dix ans auparavant après Tancredi. L’intrigue, complexe, mêle plusieurs histoires amoureuses, complots et trahisons politiques. L’œuvre a été oubliée pendant toute la première partie du XXème siècle et renaîtra triomphalement à la Scala en 1962. Après le Bayerische Staatsoper et avant le Metropolitan Opera, l’Opéra national de Lorraine propose Semiramide.

La nouvelle mise en scène de Nicola Raab use d’une recette bien connue : le théâtre dans le théâtre. Un escalier en métal à gauche et des tréteaux de bois à droite constitue le décor principal. Des lampes imitant des bougies, des colonnes en carton et un rideau élimé viennent le compléter. Presque pas d’accessoires : un immense miroir, une lettre, quelques épées. Les costumes et la gestuelle renvoient sans équivoque au XVIIème siècle. La mise en scène, parfois peu originale, a le mérite de rester très fidèle au texte. Quelques magnifiques images, le final de la scène de folie, la première entrée de Semiramide, par exemple, la rendent parfaitement agréable.

Beggi Di Pierro Fagioli Grills Jicia, Semiramide, Nancy, 2017

Chez les chanteurs, on apprécie tout d’abord des comprimari d’excellente qualité. Dans les rôles plus importants, on navigue du passable au sublime. L’Idreno de Matthews Grills fait d’abord très bonne impression dans le premier acte, notamment dans le final. « La speranza più soave », dans le II, le voit beaucoup moins charismatique. Une voix qui semble placée dans le nez et un jeu scénique très ampoulé viennent contredire les appréciations du I.Grills, Semiramide, Nancy, 2017

Avec les deux basses, on accède à de très belles interprétations. Si le choix de confier les rôles d’Oroe et du fantôme de Nino à la même personne est particulièrement contestable – elle rend le final du I assez incompréhensible -, il faut reconnaître à Fabrizio Beggi qu’il s’en tire parfaitement. Dans la brève intervention du fantôme, il a toute l’autorité de la voix nécessaire à un roi assoiffé de vengeance et de sang. En grand prêtre, cette même qualité est tout aussi indispensable. L’aisance naturelle dans le bas de la tessiture le rend particulièrement crédible.Beggi Di Pierro Grills

 L’Assur de Nahuel di Pierro semble, uniquement dans un premier temps, pâtir de la comparaison : le registre grave est moins évident, le timbre moins autoritaire. Mais le duo du I avec Arsace le montre déjà sous un bien meilleur jour, vocalises aisées et jeu très poussé. Cette même qualité fait de sa scène de folie l’un des climax de la soirée. Entre mots susurrés dans le cantabile et fortissimi triomphants dans la cabalette, le public est suspendu à ses lèvres jusqu’à la note finale qui le voit se jeter à travers le miroir.Di Pierro Jicia, Semiramide, Nancy, 2017

Confier le rôle d’Arsace, authentique contralto travestie, à un contre-ténor était un défi. Pour le relever, il fallait un chanteur comme Franco Fagioli. Aussi à l’aise dans les aigus, époustouflants, qui couronnent ses deux airs, que dans le grave de la tessiture, où l'on apprécie des notes poitrinées particulièrement viriles. Outre de cette voix à l’étendue phénoménale, il joue d’un timbre étonnamment chaud pour un contre-ténor et d’une virtuosité à toutes épreuves.Fagioli Semiramide, Nancy, 2017

Le contre-ténor argentin ne pouvait trouver meilleure partenaire que Salome Jicia. Ce qui impressionne en premier lieu chez elle, c’est son timbre, un timbre extraordinairement fruité et onctueux. Ses aigus puissants et riches en couleurs parent chacune de ses apparitions. Elle est admirable dans le « Bel raggio lusinghier », orné de chatoyantes inflexions. Ses duos avec Franco Fagioli sont les deux summums de la soirée. Les deux chanteurs semblent respirer ensemble et dessinent un couple mère/fils aussi ambigu que séduisant.Fagioli Jicia Semiramide, Nancy, 2017

Dans la fosse, Domingo Hindoyan maîtrise toutes les difficultés de l’écriture rossinienne. L’orchestre est vif et brillant sans pour autant renoncer à des instants plus poétiques.Fagioli Jicia, Semiramide, Nancy, 2017

En somme, l’audace de l’Opéra national de Lorraine aura été récompensé : cette Semiramide était un grand moment de musique et de théâtre.

Semiramide, Melodramma tragico en deux actes de Gioachino Rossini sur un livret de Gaetano Rossi, 1823

Semiramide : Salome Jicia

Arsace : Franco Fagioli

Assur : Nahuel di Pierro

Idreno : Matthews Grills

Oroe / Ombra di Nino : Fabrizio Beggi

Azema : Inna Jeskova

Mitrane : Ju In Yoon

 

Direction muicale : Domingo Hindoyan

Mise en scène : Nicola Raab

Orchestre symphonique et lyrique de Nancy

Chœur de l’Opéra national de Lorraine

Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole

Opéra national de Lorraine (Nancy), le 7 mai 2017

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22 janvier 2017

Kaufmann est de retour !

C'est une impatience tangible qui agitait l'immensité de Bastille en ce samedi soir : Jonas Kaufmann, star parmi les stars, y interprétait le rôle-titre de Lohengrin après plusieurs mois de silence forcé, silence enfin brisé mercredi pour la première. Dans la salle, s'élèvent les premières notes du prologue, un prologue qui tire les larmes. Tous les pupitres de l''Orchestre de l'Opéra National de Paris se couvrent de gloire sous la baguette d'un Philippe Jordan rarement aussi inspiré. Depuis la fosse, il dessine le monde révolu de Lohengrin, un monde fait de fêtes grandioses, de conquêtes héroïques et d'invocations à des dieux oubliés. La musique oscille entre la jubilation populaire et les intrigues sourdes, entre la lumière et la noirceur. Philippe Jordan saisit particulièrement bien ces contrastes et sait les mettre en valeur tout en gardant une vision d'ensemble.

 

Kaufmann Serafin Lohengrin Bastille, 2017

Cette direction musicale s'adapte parfaitement à la mise en scène de Claus Guth. Celui-ci situe l'action juste avant la révolution de mars 1848, dans une époque d'instabilité politique et d'incertitude. Au centre d'un palais, l'intrigue se joue dans un espace tantôt chambre, tantôt cour, tantôt jardin. Certaines scènes sont empreintes d'une grande poésie, comme la nuit de noces au bord d'une étendue d'eau entourée de roseaux. D'autres, comme les invocations d'Ortrud aux dieux germaniques, véhiculent une sourde violence.Kaufmann Lohengrin, Bastille 2017

Dans ce monde malade empreint de mélancolie, évoluent des personnages aux caractères complexes et fouillés. Les seuls à échapper à ce travail poussé sont le Hérault et le roi Heinrich. Il est vrai cependant que le livret ne leur offre pas de véritable psychologie. Efils Silins prête au Hérault une belle voix de baryton-basse, très bien projetée dans une salle à l'accoustique si peu flatteuse. On ne présente plus René Pape qui incarne les grands rôles de basse wagnérienne dans les plus grandes salles du globe. Son timbre cuivré et autoritaire conviennent parfaitement à Heinrich, rôle quelque peu statique certes mais intéressant quand bien chanté.Pape Serafin Lohengrin, Bastille, 2017

Dans l'intrigue manichéenne de Lohengrin, Friedrich et, encore plus, a femme Ortrude incarne le mal et la méchanceté. Wolfgang Koch en tuteur corrompu d'Elsa se montre particulièrement convaincant au premier acte. Il livre une prestation plus qu'honorable dans les actes suivants mais l'on sent la fatigue le gagner au fur et à mesure de la soirée. Evelyn Herlitzius campe une maîtresse femme impressionante, aussi bien dans son chant que dans son jeu. Voix large et puissante, aigus sûrs et timbre déployant mille petites lames acérées, elle captive le spectateur d'emblée. Son jeu est impeccable et particulièrement intelligent. Elle évite de faire d'Ortrud une bonne femme pratiquant la magie noire. Au contraire, elle incarne une princesse fière et orgueilleuse au port altier et aux invocations magiques terribles.Herlitzius Lohengrin, Bastille 2017

Face à ce premier couple, les deux héros : Elsa et Lohengrin. Martina Serafin n'est pas vraiment l'héroïne blonde et pure qu'on attend mais l'interprétation vocale est exempte de tout reproche. Scéniquement, la soprano autricheinne est très crédible et est une partenaire plus qu'accetable pour la vedette de la soirée... Car c'est avant tout Jonas Kaufamnn qu'on est venu entendre et voir et c'est lui qui donne le plus de satisfaction. Après avoir beaucoup craint pour lui, on le retrouve dans une très bonne forme vocale. On l'a connu plus téméraire, c'est vrai, mais la prudence du chanteur devient ainsi la fragilité du héros. En anti-héros égaré, le ténor allemand trouve un personnage parfaitement adapé à ses qualités artistiques. Car ce qu'il sait si bien exprimer, c'est la douleur et la faille dans l'armure du chevalier. Son Lohengrin est aux antipodes du combattant vindicatif, il est faible et introverti, perdu dans un monde où il ne trouve pas sa place. Ici, le timbre sombre et mélancolique du chanteur bavarois, ses pianissimi murmurés à l'oreille du spectateur se mettent au service de la conception de Claus Guth. La puissante ovation qui l'accueille à la fin du spectacle remercie Jonas Kaufmann d'être revenu à l'Opéra avec tant de brio.Kaufmann Serafin Lohengrin, Bastille, 2017

Lohengrin, opéra romantique en trois actes de Richard Wagner sur un livret de Richard Wagner, 1850

Lohengrin : Jonas Kaufmann

Elsa von Brabant : Martina Serafin

Heinrich der Vogler : René Pape

Friedrich von Telramund : Wolfgang Koch

Ortrud : Evelyn Herlitzius

Der Heerrufer des Königs : Egils Silins

Vier brabantische Edle : Hyun-Jong Roh, Cyrille Lovighi, Laurent Laberdesque, Julien Joguet

Vier Edelknaben : Irina Kopylova, Corinne Talibart, Laetitia Jeanson, Lilia Farkas

 

Direction musicale : Philippe Jordan

Mise en scène : Claus Guth

Orchestre et choeur de l'Opéra National de Paris

Opéra Bastille, 21 janvier 2017Kaufmann Lohengrin, Bastille, 2017

1 janvier 2017

Résultats chanteur et chanteuse de l'année 2016

Les résultats des élections du chanteur et de la chanteuse OpéraBlog de l'année 2016 sont tombés...

Chez les hommes, Yann Beuron et Michael Spyres obtiennent 11 % des voix chacuns John Osborn et Jonas Kaufmann sont deuxième à ex-aequo avec chacun 22 % des voix. Enfin, le péruvien Juan Diego Florez se hisse à la première place avec 34 % des votes.

Juan Diego Florez a partagé cette année entre son répertoire traditionnel qu'est le belcanto et l'opéra français qu'il esten train de découvrir. Il a notamment fait ses débuts dans le rôle-titre de Werther au Théâtre des Champs Elysées et en Raoul des Huguenots de Meyerbeer. Le ténor péruvien a surtout fêté les vingt ans de ses débuts sur la scène mondiale effectués en 1996 dans Matilde di Shabran au ROF. Il a donné un concert d'anniversaire à Pesaro et y interprété le rôle de Giacomo dans La Donna del Lago.

Florez La Donna del Lago ROF 2016

Chez les femmes, les soprano russes Olga Peretyatko et Anna Netrebko obtiennent chacune 11 % des voix, ainsi que la mezzo française Karine Deshayes. Sabine Devieilhe, Joyce DiDonato et Sonya Yoncheva se partagent la première place avec 22 % des voix chacunes.

Sabine Devieilhe a enchanté le public parisien en Ismène dans Mitridate de Mozart puis avec le rôle-titre de La Sonnambula de Bellini  au TCE. Elle a repris le rôle qui l'a rendue célèbre, Lakmé, au Grand Théâtre d'Avigon. Elle s'est illustrée en Bellezza du Trionfo del Tempo e del Disinganno de Haendel à Aix-en-Provence.

Devieilhe Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, Aix en Provence, 2016

Joyce DiDonato s'est illustrée cette année avec son nouveau disque paru chez Erato In War and Peace. Elle y aborde des airs baroques célèbres comme "When I am laid" de Purcell ou "Lascia ch'io pianga" Haendel et des airs moins connus tels "Sprezza il furor del vento" et "Par che di giubilo" de Jommelli. Tous illustrent la guerre et la paix dans ce récital salué unanimement par la critique. Elle a également fait ses premiers pas chez Massenet en Charlotte de Werther au TCE aux côtés de Juan Diego Florez puis au Royal Opera House avec Vittorio Grigolo.

In War and Peace Erato 2016

Sonya Yoncheva était présente sur les grandes scènes lyriques mondiales cette année dans un répertoire très vaste : Alcina à Versailles et Monte-Carlo, Iolanto et La Traviata à l'Opéra National de Paris, La Traviata à Munich, La Bohème au Met, Antonia des Contes d'Hoffmann à Londres, Thaïs aux cotés de Placido Domingo à Salzburg, Tatiana d'Eugène Onéguine à Berlin. Mais on a surtout parlé d'elle pour sa Norma à Londres, en remplacement d'Anna Netrebko. Elle a su y interpréter une Norma poignante et vocalement parfaite malgré sa jeunesse pour le rôle.

Yoncheva Norma, ROH, 2016

29 décembre 2016

Erreur informatique dans l'élection des chanteurs de l'année 2016

Suite à une mauvaise manipulation informatique, il était impossible de voter pour les chanteurs de l'année 2016. Cette erreur a été corrigée et il es maintenant possible de participer à l'élection.

La rédaction d'OpéraBlog 

3 décembre 2016

Elisez le chanteur et la chanteuse OpéraBlog 2016

Comme l'année précédente, OpéraBlog vous propose de voter parmi une liste de quatre-vingt-dix artistes pour le chanteur ET la chanteuse de l'année. Pour ce faire, écrivez en commentaire le nom du chanteur ET de la chanteuse que vous aurez choisis. Les votes seront clos le 31 décembre à minuit et les résultats publiés le 1er janvier.

 

Chanteut Chanteuse 2015

 

Les Chanteurs

1.       Ildar Abdrazakof

2.       Roberto Alagna

3.       Marcelo Alavrez

4.       Carlos Alvarez

5.       Frédéric Antoun

6.       Aleksandrs Antonenko

7.       Ildebrando d’Arcangelo

8.       Alessio Arduini

9.       Stanislas de Barbeyrac

10.   Piotr Beczala

11.   Yann Beuron

12.   Paolo Bordogna

13.   Pavol Breslik

14.   Joseph Calleja

15.   Javier Camarena

16.   Charles Castronovo

17.   Max Emmanuel Cencic

18.   Alessandro Corbelli

19.   Stéphane Degout

20.   Placido Domingo

21.   Christophe Dumaux

22.   Juan Diego Florez

23.   Vittorio Grigolo

24.   Thomas Hampson

25.   Dmitri Hvorostovsky

26.   Brian Hymel

27.   Philippe Jaroussky

28.   Jonas Kaufmann

29.   Gregory Kunde

30.   Mariusz Kwiecien

31.   Ambrogio Maestri

32.   Peter Mattei

33.   Francesco Meli

34.   Maxim Mironov

35.   John Osborn

36.   René Pape

37.   Michele Pertusi

38.   Luca Pisaron

39.   Matthew Polenzani

40.   Erwin Schrott

41.   Florian Sempay

42.   Piero Spagnoli

43.   Michael Spyres

44.   Rolando Villazon

45.   Kwangchul Youn

 

 

Les Chanteuses

1.       Maria Agresta

2.       Kate Aldrich

3.       Anna Caterina Antonnaci

4.       Daniella Barcellona

5.       Cecilia Bartoli

6.       Patricia Ciofi

7.       Diana Damrau

8.       Karine Deshayes

9.       Mariella Devia

10.   Sabine Deviehle

11.   Joyce DiDonato

12.   Oksana Dyka

13.   Renee Fleming

14.   Amanda Forsythe

15.   Barbara Frittoli

16.   Julie Fuchs

17.   Sonia Ganassi

18.   Elina Garanca

19.   Vivica Genaux

20.   Véronique Gens

21.   Angela Gheorghiu

22.   Anne-Catherine Gillet

23.   Edita Gruberova

24.   Anja Harteros

25.   Ermonela Jaho

26.   Simone Kermes

27.   Marie-Nicole Lemieux

28.   Kate Lindsay

29.   Annick Massis

30.   Anna Netrebko

31.   Danielle de Niese 

32.   Kristine Opolais 

33.   Stéphanie d’Oustrac

34.   Olga Peretyatko

35.   Patricia Petibon

36.   Sandrine Piau

37.   Anna Prohaska

38.   Marina Rebeka

39.   Ekaterina Semenchuk

40.   Martina Serafin

41.   Ekaterina Siurina

42.   Nina Stemme 

43.   Béatrice Uria-Monzont 

44.   Pretty Yende

45.   Sonya Yoncheva

 

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26 novembre 2016

Les Comptes nocturnes de Kaufmann

Fin d'année noire pour Jonas Kaufmann. Tout avait pourtant très bien commencé avec la sortie très médiatisée de son CD Dolce vità, un récital consacré à la chanson napolitaine. Malheureusement, le CD, s'il a reçu le succès commercial escompté, n'a pas, ou peu, emballé la critique. Le ténor, fatigué sans doute par un été passé à promouvoir Dolce vità,  a annulé un récital à Budapest le 25 septembre et Die Meisetersinger von Nürnberg à Munich du 30 septembre au 8 octobre. Fin septembre, le ténor a annoncé qu'il se retirait des Contes d'Hoffmann à l'Opéra de Paris, un médicament ayant provoqué un petit hématome sur ses cordes vocales. Le retour de Jonas Kaufmann devait s'effectuer le 13 novembre à Gütersloh mais a été à son tour annulé, pour cause de rhume. Puis le beau ténébreux s'est excusé de ne pas pouvoir assurer son récitaldu 22 novembre à Madrid et sa tournée au Japon du 28 novembre au 3 décembre. On s'inquiète fortement de ces annulations répétées du ténor allemand et on lui souhaite un prompt rétablissement.

Kaufmann Fidelio, Salzburg, 2015

13 novembre 2016

Sauvés !

Cette reprise des Contes d’Hoffmann dans la mise en scène de Robert Carsen, créée in loco il y a seize ans suscitait l’intérêt et l’impatience du monde lyrique depuis son annonce. En effet, l’Opéra National de Paris avait réussi à rassembler une distribution très prometteuse dominée par le ténor adulé du public : Jonas Kaufmann. Cet été, le spectacle avait déjà été mis à mal par l’annulation pour cause d’heureux événement de Sabine Devieihle qui devait faire ses débuts en Olympia. Mais la direction de la grande boutique n’était pas au bout de ses peines : au mois d’octobre, Jonas Kaufmann se retirait à son tour de la production pour raisons de santé, provoquant un tollé chez les malheureux possesseurs de billets. En effet, ceux-ci ont payé un tarif plus élevé pour voir le ténor allemand que ceux qui ont acheté des billets pour les représentations avec le ténor en alternance, Stefano Secco. Pour apaiser le scandale, on engage Ramon Vargas, chanteur émérite, en remplaçant et on offre aux abonnés des places pour un spectacle supplémentaire. C’est maintenant à l’équipe artistique de surmonter et de faire oublier l’absence de leurs collègues.

S’il y a un élément annoncé qui ne déçoit pas, c’est bien la mise en scène de Robert Carsen, une des plus réussies de l’artiste canadien. Jouant avec virtuosité du théâtre dans le théâtre, il fait de la taverne du prologue et de l’épilogue la buvette des artsites, situe l’acte d’Antonia dans une fosse d’orchestre et un décor de Don Giovanni et celui de Giulietta dans la salle. Dans les décors à couper le souffle, Carsen peint l’idéal féminin d’Hoffmann : la Stella. Toutes les femmes ne sont que des déclinaisons de la cantatrice, d’Olympia à Giulietta en passant par Antonia et sa mère. Ce parti pris permet une continuité dans l’œuvre très appréciable. On espère que l’Opéra de Paris gardera encore longtemps cette production à son répertoire.

D'Oustrac Gay Jaho Tagliavini Vargas Les Contes d'Hoffmann, Bastille 2016

Dans la fosse, l’Orchestre de l’ONP sonne plus somptueux que jamais sous la baguette de son directeur musical Philippe Jordan, véritable orfèvre qui étudie, travaille et sublime chaque détail. On notera tout particulièrement les tempi rapides du prologue qui font merveille et le dramatisme époustouflant du II.

Chez les messieurs, on admire la qualité des seconds rôles. Le Spalanzini de Rodolphe Briand est désopilant et très bien projeté. En maître Luther, Paul Gay est peu en voixe mais il se distingue par un excellent Crespel, particulièrement émouvant et pathétique. Les rôles des quatre valets sont sur-distribués en la personne de Yann Beuron, expert s'il en est d'Offenbach. Même ses "Oui, Oui" et ses "Non" du valet Andrès sont brillament exécutés. En Frantz, le ténor français s'avère désopilant et prouve que ce rôle peut être confié à un ténor qui ne soit pas "de caractère". Une seule question demeure : au stade de la carrière de ce chanteur brillant l'Opéra de Paris n'a-t-il pas de rôle plus important à lui proposer ? Et on se prend à le rêver en Hoffmann...

D'autant plus, que Ramon Vargas déçoit un peu en Hoffmann. La gageure était très fort : on ne remplace pas facilement Jonas Kaufmann. On était très bien disposé envers le ténor mexicain qui, en trente ans de carrière, a su garder une voix en pleine santé. Hélas, il ne semble pas ce soir très en forme. Assez pâle et affligé d'une diction peu compréhensible, il ne se hisse pas à la hauteur du reste du plateau.Vargas Les Contes d'Hoffmann, Bastille, 2016

Roberto Tagliavini est, lui, dans une forme splendide. La voix est pleine et profonde, caverneuse à souhait. Il est fait réellement grande impression en diable omniprésent. La mise en scène le met particulièrement en valeur, lui confiant le rôle de directeur de théâtre désinvolte dans les prologue et épilogue, d'accessoiriste sinistre au I, de chef d'orchestre impitoyable au II et de metteur en scène manipulateur au III. Ecrasant d'autorité et fort d'une voix précise et solide, Roberto Tagliavini est en passe d'avoir une très belle carrière. 

 Le plateau féminin est nettement plus équilibré, que le plateau masculin. Kate Aldrich est Giulietta, rôle très réduit dans la version Choudens. Cependant, la mezzo arrive à brosser en peu de temps un portrait très convaincant de cette courtisane vénale et sans scrupule. Aldrich Tagliavini Vargas, Les Contes d'Hoffmann, Bastille, 2016

En Olympia, Nadine Koutcher parvient à faire oublier au spectateur qu'elle n'est pas Sabine Devieihle. Voix saine et bien projetée, elle vient sans peine à bout de l'air "Les oiseaux dans la charmille" et se plie avec bonne grâce et habileté aux nombreux gags que la mise en scène lui offre. Koutcher Vargas Les Contes d'Hoffmann, Bastille, 2016

L'acte II est particulièrement bien servi par une mère d'Antonia, Doris Soffel, à la voix opulente et la merveilleuse Ermonela Jaho. La soprano albanaise semble l'incarnation parfaite d'Antonia, frêle et fragile, promenant sa silhouette maladive mais captivante dans une fosse d'orchestre vide. La voix est somptueuse et sublimement conduite, depuis un "Elle a fui la tourterelle" simple et sans maniérisme jusqu'à un trio avec sa mère et Miracle saisissant de vérité et de dramatisme. On ne sait qu'admirer le plus, la rigueur vocale sans concession ou l'implication théâtrale.

 

Jaho Vargas, Les Contes d'Hoffmann, Bastille, 2016

 

Enfin, Stéphanie d'Oustrac est sans pareil en Nicklausse/Muse. Voix chaude, suave et bien menée, elle se démarque tout d'abord par une présence scénique admirable, pleine d'humour et de conviction. Elle conquiert le public avec un "Voyez-la sous son éventail" désopilant et ses imitations d'Olympia tout aussi fraîches et divertissantes. Mais le "Vois sous l'archet frémissant" surtout est sublime et constitue un des sommets de la soirée. Conduit avec un sens du phrasé remarquable, l'air semble n'être qu'une seule longue phrase sans fin et les envolées sur "c'est l'amour vainqueur" sont icomparables.D'Oustrac Les Contes d'Hoffmann, Bastille 2016

Alors, dans ces conditions, je dirai que ces Contes d'Hoffmann sont sauvés !

Les Contes d’Hoffmann, opéra fantastique en trois actes, un  prologue et un épilogue de Jacques Offenbach sur un livret de Jules Barbier, 1881

Hoffmann : Ramón Vargas

La Muse / Nicklausse : Stéphanie d’Oustrac

Lindorf / Copélius / Miracle / Dapertutto : Roberto Tagliavini

Andrès / Cochenille / Pitichinaccio /Frantz : Yann Beuron

Olympia : Nadine Koutcher

Antonia : Ermonela Jaho

Giulietta : Kate Aldrich

La mère d’Antonia : Doris Soffel

Spalanzini : Rodolphe Briand

Luther / Crespel : Paul Gay

Schlemil : François Lis

Nathanaël : Cyrille Lovighi

Hermann : Laurent Laberdesque

 

Direction Musicale : Philippe Jordan

Mise en scène : Robert Carsen

Orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris

Opéra Bastille, 12 novembre 2016

15 août 2016

Renoncer à tout... sauf à la musique

            Renoncement. C’est ce mot qui pourrait résumer la vision de La Donna del Lago de Damiano Michieletto. La Donna del Lago outre d’être l’histoire du renoncement de Giacomo V à son amour pour Elena serait également celle du renoncement de cette dernière, son renoncement à l’amour du roi pour épouser Malcom. Cette interprétation se base sur les liens très forts créés par la musique entre le mystérieux Uberto, alias Giacomo V, et la belle dame du lac ainsi que le silence écrit par Rossini juste avant le mot « felicità » dans la cabalette finale, cette suspension qui donne l’impression d’une hésitation d’Elena sur le choix du substantif adéquat à sa situation. Cette idée de départ ainsi présentée peut laisser sceptique mais le travail de Michieletto est si approfondi, si juste d’intentions que l’on se laisse vite convaincre par sa mise en scène. L’opéra commence par une scène sans musique et sans parole. Dans un salon, un vieil homme est assis, celle qu’on suppose sa femme est debout derrière lui. Elle tente de lui dissimuler ses regards à la bague qu’elle porte au doigt et à la photo du roi Giacomo V, posée sur une petite table basse. Enfin, elle sort chercher des fleurs qu’elle arrange dans un vase à côté du portrait, le vieil homme jette les fleurs avec violence et renverse l’eau sur la table. L’ouverture commence, la vieille femme bouleversée se souvient de sa jeunesse, les murs du salon s’envolent et nous nous retrouvons dans une maison de la fin du XIXème siècle aux vitres cassées et à moitié envahie par les joncs. C’est ici que se déroulera tout l’opéra, dans une scénographie irréelle, romantique, brumeuse et inquiétante, sous les yeux des vieux Elena et Malcom, elle regrettant amèrement d’avoir sacrifié son amour pour le roi, lui maudissant la manière dont le cœur d’Elena lui a été ravi. Dans cette atmosphère sinistre, les passions se déchaînent avec violence, Elena jetant avec horreur sa robe de mariée qui lui annonce ses noces avec Rodrigo, Duglas mettant dans les mains de sa fille une carabine en lui répétant « Ti dica questo amplesso, / che mi sei cara ancor. », Giacomo V s’arrachant à Elena avec douleur, Malcom et Rodrigo retenant à peine leur haine en appelant la victoire de leurs vœux. Le final voit la transformation d’Elena jeune en Elena vieille, retournant au salon conjugal où Malcom jette avec dégout sa montre, cadeau de mariage de Giacomo.

Florez Jicia La Donna del Lago ROF 2016

            La direction de Michele Mariotti épouse à la perfection cette sombre vision de l’opéra. D’une direction souple, aérée, il crée une atmosphère de songes confus et effrayants. Utilisant toutes les sonorités de l’orchestre du Teatro Comunale di Bologna, il suspend le temps pendant le duo « Vivere io non potrò », sublime de douceur et de mélancolie, enflamme les passions guerrières et amoureuses du final du I, cloue la salle de terreur et d’angoisse dans le trio Elena/Giacomo V/Rodrigo et sait exprimer toute l’ambiguïté du rondo final.

            Les chanteurs suivent parfaitement le concept de Michieletto et Mariotti, conjuguant tous présence scénique et prouesse vocale. Albina serait un rôle traditionnel et banal de suivante sans sa magnifique partie dans le final du I où sa voix s’élève au-dessus de celle des druides (ici le chœur entier des guerriers) pour invoquer le temps où reviendra la paix. Ruth Inesta sait conférer à son intervention toute la magie et toute la poésie voulue, vocalisant de sa voix pure, claire et ronde, apaisant le torrent de passions qui l’a précédée.

Abrahamyan Brito Jicia Mimica Spyres La Donna del Lago ROF 2016

            Marko Mimica est un Duglas violent et belliqueux à la voix profonde mais souple comme le montre le rythme inhabituellement rapide de sa cabalette « Ma già le trombe squillano ! ». Son personnage est d’autant moins sympathique que toutes ses répliques de remerciements au final du II ont été coupées et qu’il reste donc muet devant la grâce qui lui est faite.

Jicia Mimica La Donna del Lago ROF 2016

 

            Le rôle de Rodrigo, avec ses sauts de registres, est un des plus périlleux écrit par Rossini. Michael Spyres, bien que possédant une timbre particulièrement agréable, n’est pas vraiment à la hauteur, avec des graves rauques et des aigus systématiquement en falsetto dans son aria di sortite. Au II, pour sa confrontation avec Giacomo V, il paraît bien meilleur avec plus d’homogénéité et une plus grande orthodoxie dans le style. Pour le reste, son aspect en scène correspond parfaitement aux impressions que peuvent laisser l’œuvre de Walter Scott. Il apparaît comme une sorte de monstre, mi-homme, mi-géant, violent, incapable de compréhension et de sentiment.

Florez Spyres La Donna del Lago ROF 2016

            Varduhi Abrahamyan, ovationnée après chacun de ses deux airs, possède un magnifique timbre de contralto, plein, chaud, riche de mille couleurs androgynes et d’aigus lumineux. Alliant à cet avantage donné par la nature un parfait respect du style rossinien et une colorature sûre et sans faille, elle s’impose avec facilité dans le rôle de Malcom, lui conférant autant de charme qu’au roi.

Abrahamyan La Donna del Lago ROF 2016

            Juan Diego Florez fêtait cette année les vingt ans de ses débuts éclatants au ROF qui l’ont consacré comme chanteur de niveau international. Depuis 1996, le ténor péruvien n’a cessé de se perfectionner dans ce répertoire rossinien qui lui sied si bien et auquel il est le seul à rendre aussi bien justice. Avec une voix lumineuse, naturelle, immédiatement séduisante, des aigus faciles et percutants, des nuances pianissimo tendres et songeuses, un art de la colorature à toute épreuve, il fait de Giacomo V un héros romantique, mélancolique et forcément malheureux, « un Werther généreux » pour reprendre la formule d’Alberto Zedda.

Florez La Donna del Lago ROF 2016

            Face à ces trois prétendants, chante la jeune soprano géorgienne Salome Jicia dont la carrière n’est encore qu’à l’état de début. Et c’est en réalité un début très prometteur qu’elle réalise, illuminant la scène en héroïne « pâle et blonde », digne sœur d’une Lucia di Lammermoor ou d’une Elvira d’I Puritani, notamment dans le final du I. Le timbre est particulièrement agréable à écouter, les aigus sont rayonnants et généreux, le médium fruité et la voix puissante. Tant d’atouts en font une Elena inoubliable, aussi inoubliable que la représentation entière.

Jicia La Donna del Lago ROF 2016

La Donna del Lago, mélodrame en deux actes de Gioachino Rossini sur un livret d’Andrea Leone Tottola, 1819 

Elena : Salome Jicia

Giacomo V – Uberto : Juan Diego Florez

Malcom : Varduhi Abrahamyan

Rodrigo : Michael Spyres

Duglas : Marko Mimica

Albina : Ruth Inesta

Serano / Bertram : Francisco Brito

Elena anziana : Giusi Merli

Malcom anziano : Alessandro Baldinotti

 

Direction musicale : Michele Mariotti

Mise en scène : Damiano Michieletto

Orchestra e Coro del Teatro Comunale di Bologna

Rossini Opera Festival (Pesaro), Adriatic Arena, le 11 août 2016

15 août 2016

Homogénéité parfaite

Le lendemain de l’ouverture de la trente-septième édition du Rossini Opera Festival, est présenté au Teatro Rossini Il Turco in Italia dans une nouvelle production signée Davide Livermore. Celle-ci utilise la très usitée, mais excellente quand elle est bien exploitée, idée du théâtre dans le théâtre. C’est ainsi que l’opéra ne commence pas par l’ouverture mais par une scène parlée où les membres de la ditribution presse Pietro Spagnoli de trouver une intrigue. L’ouverture commence et des images projetées nous montre ce-dernier s’endormir et « s’envoler » pour trouver l’inspiration. Par la suite, affublé au I d’une toge et accompagné par une équipe de figurantes jouant sa secrétaire, la script etc., Prosdocimo à sa machine à écrire invente l’histoire de l’opéra, transposée dans les années 50, changeant son cours en écrivant des dialogues de dernières minutes, filmant la scène des masques. La scénographie est assez dépouillée. Au I, un bâtiment blanc avec un balcon occupe l’arrière de la scène tandis que le devant est transformé à l’aide de quelques accessoires (un tonneau chez Prosdocimo, des draps blancs ondulants pour la mer du port, des tables et des chaises chez Fiorilla). Le II fonctionne sur le même système jusqu’à l’air de Don Geronio « Se ho da dirla, avrei molto piacere », chanté en avant-scène devant des rideaux blancs. Par la suite, on se retrouve sur le plateau de tournage du film de Posdocimo, grand espace vide, à l’exception du fond où se trouve un grand escalier noir, où les machinistes déplacent des bouts de décors. La mise en scène se trouve très fidèle au livret, excepté l’inexplicable travestissement d’Albazar, la longue barbe arborée par Zaida qui semble faire l’étonnement puis les délices de Selim et l’état de prêtre de Narciso. Ce dernier parti pris surprend d’autant plus que, dans le programme, on trouve parmi les dessins pour les costumes un Narciso en chemisette et pantalon. La direction d’acteur est impressionnante, aussi bien que les déplacements complexes et parfaitement orchestrés des chœurs.

Peretyatko Schrott Il Turco in Italia ROF 2016

Speranza Scappucci dirige avec beaucoup de vitalité un Filarmonico Rossini piquant et plein de verve. Extrêmement à l’écoute des chanteurs, elle soutient la mise en scène en adaptant chaque phrasé, chaque nuance, chaque intention à la situation du plateau.

Chez les chanteurs, tout le monde évolue à un excellent niveau avec presque aucun déséquilibre. Pietro Adaini est un Albazar d’abord timide avec une certaine tendance à s’effacer dans les ensembles. Mais dans « Ah ! sarebbe troppo dolce », le fameux « air des sorbets », il se révèle un comédien drôle et spirituel doublé d’un chanteur très agile avec un timbre clair mais rond et des aigus faciles. On entend ici la promesse d’un excellent ténor. Cecilia Molinari prête à Zaida une voix très pure et lisse alliée à un jeu volontairement excessif et appuyé.

Dans le rôle de Prosdocimo, Pietro Spagnoli déploie avec un naturel bluffant sa connaissance infaillible du répertoire rossinien et son timbre si aisément reconnaissable, à la fois rugueux et brillant.

Spagnoli Il Turco in Italia, ROF, 2016

Le jeune ténor américain René Barbera arrache à la salle conquise un rugissement de plaisir après un « Tu seconda il moi disegno »  anthologique. Avec une énergie et une fougue incroyables, il chasse en quelques secondes son étrange personnage de prêtre pour devenir un homme furieux, jaloux et assoiffé de vengeance à la voix chaude et cuivrée, aux aigus puissants et sûrs, à la santé vocale étonnante. Comme si tous les désirs de ce prêtre plutôt effacé se déchaînaient en un instant pour produire un « justicier » de chair et de sang.

Nicola Alaimo est accueilli aux saluts par une ovation des plus chaleureuse et enthousiastes. Et comment en effet ne pas aimer son Don Geronio ? Impressionant de clarté dans la diction, possédant le timbre le plus sympathique, le plus chaleureux qui soit, magnifiant chaque phrase de son rôle par un art du bel canto sans concession à la facilité, le baryton italien s’impose aussi comme acteur. On ne peut que l’admirer, jouant un mari à la fois si amoureux et si excédé, si docile et si honteux de l’être. Son duo « Per piacere alla signora » avec Olga Peretyatko le montre si digne de pitié, si tendre et si drôle qu’on ne peut pas lui résister bien longtemps.

Alaimo Il Turco in Italia, ROF, 2016

Olga Peretyatko est une Fiorilla ravissante, aussi belle dans ses costumes années 50 qu’époustouflante dans ses vocalises. Bien que piquante et pleine de charme dans « Non si dà follia maggiore », c’est dans son second air, « Squallida veste, e bruna », qu’on l’a préférée. De cette voix chamarrée aux mille reflets qui l’ont rendue célèbre, la soprano russe dessine des vocalises aériennes, les couronne d’aigus à couper le souffle, exprime tout son désespoir dans un pianissimo sans fin et nous laisse muet d’une admiration doublée par l’impassibilité de l’artiste devant la sonnerie de téléphone insistante qui tente de la déstabiliser.

Peretyatko Il Turco in Italia, ROF, 2016

A une séduisante et gracieuse Fiorilla revient un truculent et charmeur Selim. Erwin Schrott apparaît pour la première fois dans un halo de lumière tamisée, sous une lune aux reflets exotiques, coiffé d’un turban rouge et blanc, brandissant son sabre d’or. D’emblée, on apprécie ce Selim légèrement cabotin qui envoie des baisers aux belles italiennes en faisant admirer ses muscles. Vocalement, le timbre profond et riche de la basse uruguayenne ainsi qu’un respect du style exemplaire séduisent tout autant.

Schrott Il Turco in Italia ROF 2016

A la fin du spectacle, les sourires rayonnants des artistes comme des spectateurs montrent bien que le plaisir se trouvait ce soir-là des deux côtés.

Adaina Alaimo Barbera Peretyatko Schrott Spagnoli Molinari Il Turco in Italia, ROF, 2016

Il Turco in Italia, drama buffo en deux actes de Gioachino Rossini sur un livret de Felice Romani, 1814 ?

Selim : Erwin Schrott

Donna Fiorilla : Olga Peretyatko

Don Geronio : Nicola Alaimo

Narciso : René Barbera

Prosdocimo : Pietro Spagnoli

Zaida : Cecilia Molinari

Albazar : Pietro Adaini

 

Direction musicale : Speranza Scappucci

Mise en scène : Davide Livermore

Filarmonica Gioacchino Rossini

Coro del Teatro della Fortuna M. Agostini

Rossini Opera Festival (Pesaro), Teatro Rossini, le 9 août 2016

22 juin 2016

Jubilatoire

            Le Festival de Glyndebourne représentait hier 21 juin 2016 Il Barbiere di Siviglia dans une mise en scène d’Annabel Arden. Parfaitement fidèle au livret, celle-ci s’est révélée particulièrement efficace. Le décor fortement poétique rappelle une Espagne de songes faite de motifs orientaux dans les tons bleus et blancs. Les costumes sont également très réussis. Les tenues de Rosine sont au I dans les tons rose pâle puis dans des bordeaux plus sombres au II. Tout au long de l’opéra, elles sont caractérisées par une abondance de fleurs et de volants. Mais la principale force de cette mise en scène réside dans une chorégraphie magistralement orchestrée reposant sur des pas de danses et une gestuelle marquée. Le tout crée un spectacle fort agréable à voir, à l’aspect propre et soigné.

Bürger Corbelli De Niese Kelly Stamboglis Stayton Il Barbiere di Sivglia, Glyndebourne, 2016

            Dans la fosse, Enrique Mazzola, à la tête du London Philarmonic Orchestra, s’efforce de créer une atmosphère sonore correspondant à la scène. Sa direction est allègre et enjouée, poétique et expressive quand il le faut. On ne trouvera pas ici de rythmes débridés comme c’est si souvent le cas dans cette pièce. Et qui s’en plaindra ? Car au moins, cela permet aux chanteurs de rester à l’aise dans une partition particulièrement complexe et d’en explorer les moindres détails.

            Du côté du chant, en effet, il y a beaucoup de belles choses à entendre. A commencer même dans le petit rôle de Berta. Janis Kelly campe un personnage comique bien assumé. Ce qui crée l’admiration cependant, ce n’est pas son jeu mais un « Il vecchietto cerca moglie » particulièrement bien chanté avec des aigus dépourvu d’acidité – c’est si rare chez les titulaires de Berta- et au contraire sains et puissants.

Kelly Il Barbiere di Siviglia, Glyndebourne, 2016

            On a connu des Basilios plus désopilants que Christophoros Stamboglis. Celui-ci se concentre plus sur la beauté de son chant et la précision de son ornementation. Par comparaison, le Don Bartolo d’Alessandro Corbelli n’en apparaît que plus drôle. Le baryton italien enchaîne gag sur gag tout en conservant une ligne de chant impeccable où l’on aperçoit à peine la marque du temps. Il est vrai qu’il est titulaire du rôle depuis si longtemps qu’il en connaît toutes les facettes. Quel plaisir que d'entendre un chanteur en si complet accord avec l'écriture de son rôle !Corbelli Il Barbiere di Siviglia, Glyndebourne, 2016

            L’Almaviva de Taylor Stayton est parfait sur le plan vocal mais assez pâle sur le plan théâtral. Il faut avouer que le grand espagnol est un personnage fluet en face de Figaro, surtout quand le « Cessa di più resistere » est coupé. Et Björn Bürger est un excellent Figaro. Belle voix bien maîtrisée, le baryton campe un personnage rusé et malicieux.Bürger Stayton Il Barbiere di Siviglia, Glyndebourne, 2016

            La grande reine de la soirée reste cependant Danielle de Niese en Rosina. Elle est tout d’abord une présence scénique incroyable. Ravissante dans ses tenues successives, elle incarne une jeune fille amoureuse pleine de malice et de vivacité. Vocalement, le registre grave est parfois à la limite de ses possibilités mais le médium et surtout l’aigu sont rayonnants de santé, de soleil et de précision. On reste confondu par son interprétation terriblement émouvante de l’air alternatif « Ah, s’è ver, in tal momento », placé juste avant l’orage.De Niese Il Barbiere di Siviglia, Glyndebourne, 2016

            C’était en somme une belle soirée qu’on nous a offert à Glyndebourne. Et devant une musique si jubilatoire, pourquoi bouder son plaisir ?Bürger Corbelli De Niese Kelly Stayton Il Barbiere di Sivglia, Glyndebourne, 2016

Il Barbiere di Siviglia, opéra-bouffe en deux actes de Gioacchino Rossini sur un livret de Cesare Sterbini, 1816

Rosina : Danielle de Niese

Berta : Janis Kelly

Figaro : Björn Bürger

Il Conte di Almaviva : Taylor Stayton

Don Bartolo : Alessandro Corbelli

Don Basilio : Christophoros Stamboglis

 

Direction musicale : Enrique Mazzola

Mise en scène : Annabel Arden

London Philarmonic Orchestra

The Glyndebourne Chorus

Retransmis en diret de Glyndebourne, le 21 juin 2016

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