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OpéraBlog
21 octobre 2018

Huguenots en demi-teinte à l'Opéra de Paris

       Critique des Huguenots à l’Opéra Bastille

        Qu’il soit familier de l’œuvre ou non, tout amateur d’opéra connaît Les Huguenots de Meyerbeer. Chef d’œuvre du compositeur allemand, pilier du répertoire de l’Opéra de Paris durant tout le XIXème, cet archétype du grand opéra à la française a tour à tour suscité l’admiration de ses contemporains (Berlioz considérait la bénédiction des poignards du IV comme « l’une des plus foudroyantes inspirations de l’art de tous les temps) puis le mépris des générations suivantes. Un retour en grâce s’étant cependant opéré ces dernières années, on a eu plusieurs occasions de voir Les Huguenots à Bruxelles, Strasbourg, Berlin… Après plus de quatre-vingt ans d’absence, le chef d’œuvre de Meyerbeer fait également son retour à l’Opéra de Paris. Mais c’est une version tronquée qu’on a pu entendre à Bastille. Le rondo d’Urbain « Non, vous n’avez jamais je gage », le ballet de l’acte V par exemple manquent à l’appel.

            La mise en scène a été confiée à Andreas Kriegenburg, plus habitué du théâtre que de l’opéra. Tandis que du sang coule abondamment sur un cadre à l’avant-scène, une projection de texte nous informe que l’action se déroule en 2063, année où les combats entre protestants et catholiques auraient repris. L’action se déroule en effet dans des décors blancs épurés et plutôt contemporains : trois étages de cubes blancs communiquant par des escaliers pour les I, IV et V, une forêt de troncs d’arbrisseaux blancs entourée d’eau pour le II, une place et une grande salle à hautes fenêtres pour le III. On a cependant tôt fait d’oublier la modernité de l’action du fait des costumes, du reste particulièrement beaux, rappelant un XVIème siècle stylisé. Visuellement, la production est très réussie. Les costumes colorés des gentilhommes catholiques et les robes somptueuses de Marguerite et Valentine sont du plus bel effet et offrent de beaux contrastes avec les décors épurés. Cependant, la production pêche tout d’abord par son parti pris initial de transposition de l’action dans le futur, plutôt anodin et nullement exploité a fil de la représentation. De plus, la direction d’artiste semble vraiment insuffisante. Les chanteurs sont bien souvent livrés à eux-mêmes. Les dames s’en arrangent mieux que les messieurs, Karine Deshayes et Lisette Oropesa imposant sans peine une présence malicieuse tandis qu’Ermonela Jaho déploie les talents de tragédienne qu’on lui connaît. La gestion des masses artistiques laisse aussi à désirer. Les combats à l’épée du III sont si mal réglés qu’ils en deviennent comiques, les militaires protestants entrent tôt sur scène dans le final du III. Le final du V se révèle assez incompréhensible : des femmes protestantes fuyant des poursuivants inexistants, des catholiques se battant contre le vide… Ce massacre est plus risible qu’effrayant.

Deshayes Gay Jaho Oropesa Sempey Les Huguenots, Bastille,La distribution vocale est assez inégale mais se distingue par son excellente diction française, chose à laquelle les distributions de l’Opéra de Paris ne nous avait pas habitués. Les rôles de second et troisième plans sont remarquablement bien tenus. Parmi les seigneurs catholiques, tous chantés avec l’humour puis la férocité nécessaires, émerge le très beau Tavannes de Cyrille Dubois. On signalera aussi Elodie Hache et Julie Robard-Gendre, toutes les deux excellentes dans plusieurs interventions mineures. Florien Sempey offre à Nevers un timbre chaud, une grande aisance dans tous les registres et une belle intelligence du personnage. On se prend à regretter que son rôle ne soit pas plus étoffé. On formule les mêmes regrets concernant Karine Deshayes dont le rondeau a de plus était inexplicablement coupé. La mezzo-soprano française est impressionnante d’aisance scénique dans son rôle de jeune page malicieux. Et que dire de sa prestation vocale si ce n’est qu’elle est absolument parfaite ? Timbre rond et sensuel, aigus faciles, médium cuivré, graves nourris, Karine Deshayes est une interprète de très grand luxe pour le rôle d’Urbain. Doté d’une autorité scénique indéniable et de graves profonds, Paul Gay campe un très beau Saint-Bris. Il brille tout particulièrement pendant la bénédiction des poignards où ses aigus percutants et son intelligence du mot sont très appréciables.

 

Deshayes Les Huguenots, Bastille, 2018

 

            Sans posséder les graves les plus profonds que le rôle réclame, Nicolas Testé est un excellent Marcel. L’interprétation est un peu monolithique mais vocalement splendide. Fort d’un timbre chaud et riche, il convient idéalement au personnage du vieux serviteur. Yosep Kang, appelé à la dernière minute pour pallier la défection de Bryan Hymel trois jours avant la générale, est un Raoul quelque peu inégal. Visiblement sous l’emprise du trac, il écorche plusieurs aigus, notamment dans « Plus blanche que la blanche hermine », et manque parfois de conviction théâtrale. A sa décharge, le rôle est aussi peu gratifiant dramatiquement qu’ardu vocalement. On remarque cependant la très bonne diction française du ténor sud-coréen et sa très grande probité musicale. Compte tenu de la difficulté du rôle et de la rareté de ses titulaires, on ne peut que remercier l’artiste d’avoir sauvé la série de représentations par sa présence. Annoncée souffrante, Ermonela Jaho laisse quelque peu perplexe en Valentine. On ne peut nier ni ses très grandes qualités musicales, ni ses dons d’actrice. La soprano albanaise met au service du rôle une incarnation incandescente et touchante et un beau timbre fruité. Mais voilà, elle possède une voix de soprano lyrique, le rôle de Valentine a été écrit pour Juliette Falcon. Par conséquent, les parties les plus graves du rôle la mettent en difficulté et empêchent d’apprécier pleinement son interprétation. Lisette Oropesa, enfin, s’avère une très agréable découverte. Remplaçant Diana Damrau initialement prévue, la jeune soprano américaine possède une très belle voix de soprano lyrique léger bien projetée dans l’immense Bastille. Idéalement virtuose et agile, elle se joue avec une facilité apparente du redoutable « O beau pays de la Touraine ». Elle incarne une charmante Marguerite de Valois mutine et coquette. On se réjouit de la voir effectuer une si belle prise de rôle et on espère la voir de plus en plus souvent à l’Opéra de Paris.


Deshayes Oropesa Les Huguenots, Bastille, 2018

            Les Chœurs de l’Opéra, très sollicités par l’œuvre, ont obtenu une ovation bien méritée à la fin du spectacle. Idéalement compréhensibles, très engagés dans l’action, ils offrent une très belle performance. L’orchestre, placé sous la direction d’un Mariotti aussi à l’aise dans les passages les plus belcantistes que dans ceux plus pompiers, met en valeur l’instrumentation de Meyerbeer avec virtuosité. Les nombreux soli sont tous excellemment joués. La bénédiction des poignards est le véritable climax musical et dramatique qu’il doit être. Les chœurs y sont d’ailleurs particulièrement impressionnants.

            C’est donc un retour en demi-teinte pour Les Huguenots à l’Opéra de Paris : une mise en scène insuffisante, une distribution vocale un peu inégale mais un orchestre sompteux.

 


Jaho Test, Les Huguenots, Bastille, 2018

Les Huguenots, opéra en cinq actes de Gicaomo Meyerbeer sur un livret d’Eugène Scribe, 1836

Marguerite de Valois : Lisette Oropesa

Raoul de Nangis : Yosep Kang

Valentine : Ermonela Jaho

Marcel : Nicolas Testé

Urbain : Karine Deshayes

Le Comte de Nevers : Florian Sempey

Le Comte de Saint-Bris : Paul Gay

Tavannes, le premier moine : Cyrille Dubois

Coryphée, une jeune fille catholique, une bohémienne : Elodie Hache

Une dame d’honneur, une jeune fille catholique, une bohémienne : Julie Robard-Gendre

Cossé, un étudiant catholique : François Rougier

Méru, le deuxième moine : Michal Partyka

Thoré, Maurevert : Patrick Bolleire

Retz, le troisième moine : Tomislav Lavoie

Bois-Rosé, valet : Philippe Do

Un archer du guet : Olivier Ayault

Quatre siegneurs : John Bernard, Cyrille Lovighi, Bernard Arrieta, Fabio Bellenghi

 

Direction Musicale : Michele Mariotti

Mise en scène : Andreas Kriegenburg

Orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris

Opéra Bastille, 20 octobre 2018

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5 octobre 2018

Chapeau bas !

Critique de MIROIR(S)

Depuis 2015, année qui l'a vue gagner le concours "Neue Stimmen", la place de "Révélation lyrique" des Victoires de la musique classique et le second prix du concours Reine Sonja, Elsa Dreisig s'est imposée comme une jeune voix française avec laquelle il faut compter. Membre de la troupe du Staatsoper de Berlin et régulièrement invitée en France où on a déjà pu l'applaudir, entre autres, en Lauretta et  en Pamina à l'Opéra de Paris ainsi qu'en Micaëla à Aix-en Provence, la jeune soprano a également eu la chance de signer un contrat chez Erato. Voici donc son premier récital, dédié au thème du miroir, celui dans lequel se contemplent Marguerite et Thaïs, celui qui opposent les Manon de Puccin et Massenet, les Juliette de Steibelt et Gounod, les Rosina de Rossin et Mozart, les Salomé de Massenet et Strauss.

Ce qui frappe d'emblée à l'écoute du CD, c'est la fraîcher d'un timbre clair mais immédiatement séduisant, un aplomb étonnant allié à une très belle musicalité. Sans aucun doute, Elsa Dreisig possède une voix somptueuse aux aigus lumineux et au médium velouté. La jeune soprano peut également se flatter d'une jolie diction française et d'un beau tempérament dramatique. Le récital s'ouvre ainsi sur un "Ah ! Je ris de me voir si belle" frémissant de jeunesse et de coquetterie. Thaïs met la jeune femme un peu moins en valeur, peut-être parce que les aigus sur "dis-moi que je serai belle pour l'éternité" ne sont pas assez voluptueux. La Manon de Massenet convient parfaitement à sa voix comme au stade de sa carrière. "Adieu à notre petite table" est, en conséquence, une plage émouvante, toute mélancolie retenue. Il est évident qu'Elsa Dreisig ne peut pas (encore ?) aborder la Manon de Puccini en intégralité et à la scène. Le temps d'un air, cependant, elle en endosse crânement le rôle, offrant un "In quelle trine morbide" débordant de sensualité et de désir. Les deux Rosine mises en perspective par le programme offrent à Elsa Dreisig l'occasion de faire étalage de virtuosité et de malice chez Rossini. On s'attendait bien peu à l'entendre en Salome de Strauss et encore moins dans la version française d'après Oscar Wilde. La surprise est plutôt agréable, Elsa Dreisig habitant avec conviction la Salomé sanguinaire dépeinte par l'écrivain. A des années lumières de ce personnage monstrueux, Elsa Dreisig reste en terrain connu avec "Il est doux, il est bon", l'air de la Salomé de Massenet. Dans Hérodiade, le compositeur propose un personnage bien plus amoureux et rêveur qu'Elsa Dreisig dote d'une ligne de chant envoûtante et d'aigus dardés comme des poignards. Mais ce sont les deux Juliette du récital que nous avons préférées. La première, celle de Steibelt, est une rareté que l'on découvre avec plaisir. Contrairement à certaines exhumations d'airs dont on se passerait bien, celle-ci permet de découvrir une belle page, dramatiquement intéressante et riche en vocalises vertigineuses. Elsa Dreisig en propose d'ailleurs une interprétation en forme de feux d'artifice vocal. Quant à la scène du poison du bien plus célèbre opéra de Gounod, on y découvre la chanteuse bouleversante, concluant l'air par un "Roméo, je viens à toi" triomphant.

Un très beau CD en somme, très prometteur et témoignant de l'audace et de l'intelligence de l'artiste.


Miroirs Elsa Dreisig Erato 2018

MIROIR(S)

Elsa Dreisig, soprano

Orchestre national de Montpellier Occitanie

Direction musicale : Michael SchØnwandt

 

 

1.      « Les grands seigneurs... Ah ! Je ris de me voir si belle» - Faust - Charles Gounod

2.      « Ah ! Je suis seule... Dis-moi que je suis belle » - Thaïs - Jules Massenet

3.      «  In quelle trine morbide » - Manon Lescaut - Giacomo Puccini

4.      « Allons, il le faut !... Adieu notre petite table» - Manon - Jules Massenet

5.      « Je vais donc usurper les droits de la nature » - Roméo et Juliette - Daniel Steibelt

6.      « Dieu ! Quel frisson court dans mes veines ? » - Roméo et Juliette - Charles Gounod

7.      « Una voce poco fa» - Il Barbiere di Siviglia - Gioacchino Rossini

8.      « Porgi, amor» - Le Nozze di Figaro - Wolfgang Amadeus Mozart

9.      « Celui dont la parole efface toutes peines... Il est doux, il est bon» - Hérodiade - Jules Massenet

10.    « Ah ! Tu n'as pas voulu » - Salomé - Richard Strauss

CD Erato 2018

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