Innovante Carmen !
On pense tout savoir de Carmen, opéra de Georges Bizet figurant au top 3 des oeuvres les plus jouées selon OperaBase. C'est précisément le contraire que veut nous prouver Dmitri Tcherniakov. Avec le sulfureux metteur en scène russe, finis l'Espagne, les robes rouges, les castagnettes et les toréadors en costumes rutilants. Ici, un de nos contemporains va suivre une cure afin de lui redonner le goût de vivre. Son traitement consiste à jouer le personnage de Don José entouré de comédiens interprêtant pour lui l'histoire de Carmen. Sa femme, pour rester en contact avec lui, va jouer Micaëla. Mais au III, le patient va refuser d'arrêter la comédie et, au IV, tenter de tuer l'actrice interprêtant Carmen, ne supportant pas de la voir jouer pour un autre homme. Mais dans cette mise en scène, les armes sont aussi factices que l'histoire et Carmen se relève tandis que Don José sombre dans la folie. Cette vision inédite de l'oeuvre peut sembler dérangeante. En réalité, pour un spectateur prêt à abandonner les images de Carmen qu'il a pu se former au contact de mises en scène plsu classiques, la production de Tcherniakov est tout à fait regardable. Même, la confusion des sentiments de Don José vient enrichir l'oeuvre et la psychologie de son personnage masculin.
Pour soutenir sa vision de Carmen, Tcherniakov avait avant tout besoin d'un Don José engagé et crédible. Michael Fabiano relève le défi avec succès. On a peut-être connu des interprètes plus impressionnant dans la nuance et la douceur mais le ténor américain brille surtout par son endurance et la violence qu'il sait insuffler au personnage.
Michael Simpson Todd est un Escamillo très convainquant dans sa confrontation avec Don José au troisième acte. L'air du toast où il semble en difficulté dans les extrêmes, est en revanche moins impressionnant. Son timbre assez commun et sa diction moins parfaite que celle de ses partenaires en grande partie francophone sont rachetés par une prestance en scène incontestable.
Micaëla trouve une interprête idéale en Elsa Dreisig, jouant d'un timbre juvénile et pur. Touchante, simple mais jamais mièvre, elle brosse un très beau portrait d'une femme profondément amoureuse d'un homme qui ne cesse de s'éloigner d'elle.
Face à cette Micaëla d'exception, Stéphanie d'Oustrac est une superbe Carmen. Résolument caricaturale dans "L'amour est un oiseau rebelle", l'attitude provocante et bravache de cette bohémienne au timbre d'airain et charnu ne va cesser de s'humaniser au fil de la soirée, au fur et à mesure de la prise de conscience de la comédienne de l'ampleur du jeu auquel elle participe. La mezzo française s'en donne visiblement à coeur de joie dans cette production qui lui permet d'explorer toute la palette des expressions. Très drôle dans le quintette des brigands, touchante à l'extrême dans l'air des cartes, poignante dans le final, elle se confirme comme une des meilleures interprêtes actuelles du rôle.
Le plateau atteint une parfaite homogénéité grâce à la présence d'excellents seconds rôles, depuis les tordants Dancaïre et Remendado de Guillaume Andrieux et Mathias Vidal aux belles compagnes de Carmen que sont Gabrielle Philiponet et Virginie Verrez en passant par le Moralès impeccable de Pierre Doyen. Le choeur Aedes, protagoniste indispensable au drame, est d'une diction parfaite. Le choeur des cigarières est sublime, tout comme celui des contrebandiers qui ouvre le III.
Pablo Heras-Casado n'innove pas dans sa direction mais l'Orchestre de Paris sonne magnifiquement sous sa direction, ce n'est déjà pas si mal.
Une Carmen splendide reposant sur une distribution homogène et de très grande qualité.
Carmen, opéra-comique en quatre actes de Georges Bizet sur un livret d'Henri Meilhac et Ludovic Halévy, 1875
Carmen : Stéphanie d'Oustrac
Don José : Michael Fabiano
Escamillo : Michael Simpson Todd
Micaëla : Elsa Dreisig
Frasquitta : Gabrielle Philiponet
Mercédès : Virginie Verrez
Zuniga : Christian Helmer
Moralès : Pierre Doyen
Le Dancaïre : Guillaume Andrieux
Le Remendado: Mathias Vidal
L'administrateur (comédien) : Pierre Gramont
Direction musicale : Pablo Heras-Casado
Mise en scène : Dmitri Tcherniakov
Orchestre de Paris, Choeur Aedes et Maîtrise des Bouches-du-Rhône
Retransmissions sur Arte Concert depuis le Festival d'Aix-en-Provence, 6 juillet 2017