Cette reprise de Rigoletto dans la mise en scène de Claus Guth aura bien failli ne pas avoir lieu. Avant un deuxième acte commencé en retard, Vittorio Grigolo a fait annoncé qu'il était malade mais avait décidé de continuer la représentation malgré tout. Alors que la salle se réjouissait d'assister au deuxième acte, un murmure d'incompréhension et d'inquiètude s'est élevé quand le rideau est tombé à la fin de l'air "Cortigiani, vil razza dannata". Cette fois-ci, nous annonce-t-on, un "incident sur le plateau" (en l'occurence, l'évanouissement d'un artiste) contraint de repousser la suite de la représentation. Ce n'est que trois quart d'heure après que le deuxième acte a repris. Aux saluts, l'accueil particulièrement chaleureux d'une salle reconnaissante a récompensé l'équipe artistique d'avoir joué coûte-que-coûte.
Créée l'année dernière, la mise en scène de Claus Guh présente l'action de l'opéra comme un souvenir de Rigoletto, devenu SDF et transportant dans une boîte en carton la robe ensanglantée de Gilda et son costume de bouffon. Le décor lui-même est une réplique en bien plus grand de cette boîte. Pendant l'ouverture, on voit le Rigoletto du passé, joué par le coémdien Henri Bernard Guiziran, se lamentant devant la robe de sa fille. Puis, on assiste à travers ses yeux à la fête chez le Duc, un bal en costumes du XVIème. Avec l'apparition de Monterone en costumes actuels, on comprend que l'actions se passe de nos jours. Rigoletto et Sparafucile, pour illustrer la réplique du bouffon "Pari siamo", évoluent symétriquement dans leur première rencontre. Gilda est mise en scène, aussi bien par son père que par "Gualtier Maldè", et ainsi présentée comme objet de fantasmes emprisonné dans la conception des autres. L'opéra est hantée de projection et de danseuses représentant Gidla plus jeune. Cette conception, surprenante il est vrai, fonctionne cependan très bien. Certaines images sont poétiques, comme cette jeune fille ne blanc dansant sur un projection de paysage champêtre pendant "Tutte le feste al tempio", d'autres, comme la projection de pigeons autour d'un poignard ensanglantés, déconcertantes et peut-être superflues. Il faut reconnaître, du moins, à cette production une grande efficacité et un bel accompagnement du drame.
Pour ce qui est du chant, le plateau brillait par la présence d'excellents comprimari. Depuis le charmant page de Laure Poissonnier jusqu'au très impressionnat Marullo ce Christophe Gay, on est réellemnt impressionné par la qualité peu habituelle des jeunes chanteurs engagés par l'Opéra de Paris. Brillant par son autorité, le Monterone de Robert Pomakov marque durablement les esprits bien qu'il n'ait que deux apparitions.
Si on est un peu déçu par la Maddalena d'Elena Maximova, très engagée scéniquement mais au timbre assez pauvre, Kwangchul Youn séduit dans le rôle de son frère. Voix caverneuse, prestance noble et inquiétante, il est un tueur à gages idéal dont les "Sparafucile" hantent la salle bien après sa sortie de scène.
De Gilda, Nadine Sierra a et la jeunesse et la fraîcheur. Simple et émouvante dans son jeu, elle s'avère précise dans son chant. Sa voix, très ample et fruitée, est tout aussi agile dans les trilles que dans les passages plus lyriques du rôle. C'est surtout dans le final qu'elle impressionne, la voix pure, la ligne superbement conduite et d'une simplicité touchante.
Željko Lučić n'est plus à présenter, chantant depuis plusieurs années les grands rôles verdiens sur les scènes les plus prestigieuses. Ce soir, le baryton serbe ne semble pas au meilleur de ses capacités. Le chant est, certes, parfaitement dans le style, le timbre est agréable, la voix bien placée. Reste qu'il manque l'émotion, aussi bien dans la musique que dans le jeu. Seulement dans "Tutte le feste al tempio", Željko Lučić parvient à dépasser son statut d'interprète pour accéder à celui de personnage.
Le triomphateur de la représentation à l'applaudimètre, c'est un Vittorio Grigolo souffrant mais qui a conquis la salle dès ses premières notes. Sa voix particulièrement solaire, son jeu très extérieur et son physique de jeune premier en font un interprète idéal du Duc de Mantoue. Depuis un "Questa o quella" inhabituellement délicat jusqu'à un "La donna è mobile" confondant de facilité en passant par un "Parmi veder le lagrime" susurré et douloureux, le ténor ialien livre une prestation exemplaire. Dans "Scorrendo uniti remota via" et la cabalette "Possente amor mi chiama", il fait preuve, de plus, d'une véritable complicité avec le choeur des courtisans.
Le choeur d'hommes de l'Opéra National de Paris est en effet époustouflant dans cette production. Véritable personnage de l'action, le choeur des courtisans semble un jeu pour les choristes. Très sollicités par la mise en scène, ils introduisent la vie et le rire dans cette production. Vocalement, le son est parfait, rond et homogène.
A la tête de l'Orchestre de l'Opéra National de Paris, Daniele Rustioni insuffle le drame et porte les voix avec brio.
En somme, un très beau spectacle, reposant avant tout sur les masses artistiques et la cohésion des artistes.
Rigoletto,melodramma en trois en actes de Giuseppe Verdi sur un livret de Francesco Maria Piave, 1851
Rigoletto : Željko Lučić
Gilda : Nadine Sierra
Il Duca di Mantova : Vittorio Grigolo
Sparafucile : Kwangchul Youn
Maddalena : Elena Maximova
Il Conte di Monterone : Robert Pomakov
Marullo : Christophe Gay
Giovanna : Marie Gautrot
Matteo Borsa : Julien Dran
Il Conte di Ceprano : Mikhail Timoshenko
La Contessa di Ceprano : Veta Pilipenko
Paggio della Duchessa : Laure Poissonnier
Usciere di Corte : Christian Rodrigue Moungoungou
Double de Rigoletto : Henri Bernard Guiziran
Direction musicale : Daniele Rustioni
Mise en scène : Claus Guth
Orchestre et choeurs de l'Opéra National de Paris
Opéra Bastille, 5 juin 2017