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OpéraBlog
22 janvier 2017

Kaufmann est de retour !

C'est une impatience tangible qui agitait l'immensité de Bastille en ce samedi soir : Jonas Kaufmann, star parmi les stars, y interprétait le rôle-titre de Lohengrin après plusieurs mois de silence forcé, silence enfin brisé mercredi pour la première. Dans la salle, s'élèvent les premières notes du prologue, un prologue qui tire les larmes. Tous les pupitres de l''Orchestre de l'Opéra National de Paris se couvrent de gloire sous la baguette d'un Philippe Jordan rarement aussi inspiré. Depuis la fosse, il dessine le monde révolu de Lohengrin, un monde fait de fêtes grandioses, de conquêtes héroïques et d'invocations à des dieux oubliés. La musique oscille entre la jubilation populaire et les intrigues sourdes, entre la lumière et la noirceur. Philippe Jordan saisit particulièrement bien ces contrastes et sait les mettre en valeur tout en gardant une vision d'ensemble.

 

Kaufmann Serafin Lohengrin Bastille, 2017

Cette direction musicale s'adapte parfaitement à la mise en scène de Claus Guth. Celui-ci situe l'action juste avant la révolution de mars 1848, dans une époque d'instabilité politique et d'incertitude. Au centre d'un palais, l'intrigue se joue dans un espace tantôt chambre, tantôt cour, tantôt jardin. Certaines scènes sont empreintes d'une grande poésie, comme la nuit de noces au bord d'une étendue d'eau entourée de roseaux. D'autres, comme les invocations d'Ortrud aux dieux germaniques, véhiculent une sourde violence.Kaufmann Lohengrin, Bastille 2017

Dans ce monde malade empreint de mélancolie, évoluent des personnages aux caractères complexes et fouillés. Les seuls à échapper à ce travail poussé sont le Hérault et le roi Heinrich. Il est vrai cependant que le livret ne leur offre pas de véritable psychologie. Efils Silins prête au Hérault une belle voix de baryton-basse, très bien projetée dans une salle à l'accoustique si peu flatteuse. On ne présente plus René Pape qui incarne les grands rôles de basse wagnérienne dans les plus grandes salles du globe. Son timbre cuivré et autoritaire conviennent parfaitement à Heinrich, rôle quelque peu statique certes mais intéressant quand bien chanté.Pape Serafin Lohengrin, Bastille, 2017

Dans l'intrigue manichéenne de Lohengrin, Friedrich et, encore plus, a femme Ortrude incarne le mal et la méchanceté. Wolfgang Koch en tuteur corrompu d'Elsa se montre particulièrement convaincant au premier acte. Il livre une prestation plus qu'honorable dans les actes suivants mais l'on sent la fatigue le gagner au fur et à mesure de la soirée. Evelyn Herlitzius campe une maîtresse femme impressionante, aussi bien dans son chant que dans son jeu. Voix large et puissante, aigus sûrs et timbre déployant mille petites lames acérées, elle captive le spectateur d'emblée. Son jeu est impeccable et particulièrement intelligent. Elle évite de faire d'Ortrud une bonne femme pratiquant la magie noire. Au contraire, elle incarne une princesse fière et orgueilleuse au port altier et aux invocations magiques terribles.Herlitzius Lohengrin, Bastille 2017

Face à ce premier couple, les deux héros : Elsa et Lohengrin. Martina Serafin n'est pas vraiment l'héroïne blonde et pure qu'on attend mais l'interprétation vocale est exempte de tout reproche. Scéniquement, la soprano autricheinne est très crédible et est une partenaire plus qu'accetable pour la vedette de la soirée... Car c'est avant tout Jonas Kaufamnn qu'on est venu entendre et voir et c'est lui qui donne le plus de satisfaction. Après avoir beaucoup craint pour lui, on le retrouve dans une très bonne forme vocale. On l'a connu plus téméraire, c'est vrai, mais la prudence du chanteur devient ainsi la fragilité du héros. En anti-héros égaré, le ténor allemand trouve un personnage parfaitement adapé à ses qualités artistiques. Car ce qu'il sait si bien exprimer, c'est la douleur et la faille dans l'armure du chevalier. Son Lohengrin est aux antipodes du combattant vindicatif, il est faible et introverti, perdu dans un monde où il ne trouve pas sa place. Ici, le timbre sombre et mélancolique du chanteur bavarois, ses pianissimi murmurés à l'oreille du spectateur se mettent au service de la conception de Claus Guth. La puissante ovation qui l'accueille à la fin du spectacle remercie Jonas Kaufmann d'être revenu à l'Opéra avec tant de brio.Kaufmann Serafin Lohengrin, Bastille, 2017

Lohengrin, opéra romantique en trois actes de Richard Wagner sur un livret de Richard Wagner, 1850

Lohengrin : Jonas Kaufmann

Elsa von Brabant : Martina Serafin

Heinrich der Vogler : René Pape

Friedrich von Telramund : Wolfgang Koch

Ortrud : Evelyn Herlitzius

Der Heerrufer des Königs : Egils Silins

Vier brabantische Edle : Hyun-Jong Roh, Cyrille Lovighi, Laurent Laberdesque, Julien Joguet

Vier Edelknaben : Irina Kopylova, Corinne Talibart, Laetitia Jeanson, Lilia Farkas

 

Direction musicale : Philippe Jordan

Mise en scène : Claus Guth

Orchestre et choeur de l'Opéra National de Paris

Opéra Bastille, 21 janvier 2017Kaufmann Lohengrin, Bastille, 2017

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13 novembre 2016

Sauvés !

Cette reprise des Contes d’Hoffmann dans la mise en scène de Robert Carsen, créée in loco il y a seize ans suscitait l’intérêt et l’impatience du monde lyrique depuis son annonce. En effet, l’Opéra National de Paris avait réussi à rassembler une distribution très prometteuse dominée par le ténor adulé du public : Jonas Kaufmann. Cet été, le spectacle avait déjà été mis à mal par l’annulation pour cause d’heureux événement de Sabine Devieihle qui devait faire ses débuts en Olympia. Mais la direction de la grande boutique n’était pas au bout de ses peines : au mois d’octobre, Jonas Kaufmann se retirait à son tour de la production pour raisons de santé, provoquant un tollé chez les malheureux possesseurs de billets. En effet, ceux-ci ont payé un tarif plus élevé pour voir le ténor allemand que ceux qui ont acheté des billets pour les représentations avec le ténor en alternance, Stefano Secco. Pour apaiser le scandale, on engage Ramon Vargas, chanteur émérite, en remplaçant et on offre aux abonnés des places pour un spectacle supplémentaire. C’est maintenant à l’équipe artistique de surmonter et de faire oublier l’absence de leurs collègues.

S’il y a un élément annoncé qui ne déçoit pas, c’est bien la mise en scène de Robert Carsen, une des plus réussies de l’artiste canadien. Jouant avec virtuosité du théâtre dans le théâtre, il fait de la taverne du prologue et de l’épilogue la buvette des artsites, situe l’acte d’Antonia dans une fosse d’orchestre et un décor de Don Giovanni et celui de Giulietta dans la salle. Dans les décors à couper le souffle, Carsen peint l’idéal féminin d’Hoffmann : la Stella. Toutes les femmes ne sont que des déclinaisons de la cantatrice, d’Olympia à Giulietta en passant par Antonia et sa mère. Ce parti pris permet une continuité dans l’œuvre très appréciable. On espère que l’Opéra de Paris gardera encore longtemps cette production à son répertoire.

D'Oustrac Gay Jaho Tagliavini Vargas Les Contes d'Hoffmann, Bastille 2016

Dans la fosse, l’Orchestre de l’ONP sonne plus somptueux que jamais sous la baguette de son directeur musical Philippe Jordan, véritable orfèvre qui étudie, travaille et sublime chaque détail. On notera tout particulièrement les tempi rapides du prologue qui font merveille et le dramatisme époustouflant du II.

Chez les messieurs, on admire la qualité des seconds rôles. Le Spalanzini de Rodolphe Briand est désopilant et très bien projeté. En maître Luther, Paul Gay est peu en voixe mais il se distingue par un excellent Crespel, particulièrement émouvant et pathétique. Les rôles des quatre valets sont sur-distribués en la personne de Yann Beuron, expert s'il en est d'Offenbach. Même ses "Oui, Oui" et ses "Non" du valet Andrès sont brillament exécutés. En Frantz, le ténor français s'avère désopilant et prouve que ce rôle peut être confié à un ténor qui ne soit pas "de caractère". Une seule question demeure : au stade de la carrière de ce chanteur brillant l'Opéra de Paris n'a-t-il pas de rôle plus important à lui proposer ? Et on se prend à le rêver en Hoffmann...

D'autant plus, que Ramon Vargas déçoit un peu en Hoffmann. La gageure était très fort : on ne remplace pas facilement Jonas Kaufmann. On était très bien disposé envers le ténor mexicain qui, en trente ans de carrière, a su garder une voix en pleine santé. Hélas, il ne semble pas ce soir très en forme. Assez pâle et affligé d'une diction peu compréhensible, il ne se hisse pas à la hauteur du reste du plateau.Vargas Les Contes d'Hoffmann, Bastille, 2016

Roberto Tagliavini est, lui, dans une forme splendide. La voix est pleine et profonde, caverneuse à souhait. Il est fait réellement grande impression en diable omniprésent. La mise en scène le met particulièrement en valeur, lui confiant le rôle de directeur de théâtre désinvolte dans les prologue et épilogue, d'accessoiriste sinistre au I, de chef d'orchestre impitoyable au II et de metteur en scène manipulateur au III. Ecrasant d'autorité et fort d'une voix précise et solide, Roberto Tagliavini est en passe d'avoir une très belle carrière. 

 Le plateau féminin est nettement plus équilibré, que le plateau masculin. Kate Aldrich est Giulietta, rôle très réduit dans la version Choudens. Cependant, la mezzo arrive à brosser en peu de temps un portrait très convaincant de cette courtisane vénale et sans scrupule. Aldrich Tagliavini Vargas, Les Contes d'Hoffmann, Bastille, 2016

En Olympia, Nadine Koutcher parvient à faire oublier au spectateur qu'elle n'est pas Sabine Devieihle. Voix saine et bien projetée, elle vient sans peine à bout de l'air "Les oiseaux dans la charmille" et se plie avec bonne grâce et habileté aux nombreux gags que la mise en scène lui offre. Koutcher Vargas Les Contes d'Hoffmann, Bastille, 2016

L'acte II est particulièrement bien servi par une mère d'Antonia, Doris Soffel, à la voix opulente et la merveilleuse Ermonela Jaho. La soprano albanaise semble l'incarnation parfaite d'Antonia, frêle et fragile, promenant sa silhouette maladive mais captivante dans une fosse d'orchestre vide. La voix est somptueuse et sublimement conduite, depuis un "Elle a fui la tourterelle" simple et sans maniérisme jusqu'à un trio avec sa mère et Miracle saisissant de vérité et de dramatisme. On ne sait qu'admirer le plus, la rigueur vocale sans concession ou l'implication théâtrale.

 

Jaho Vargas, Les Contes d'Hoffmann, Bastille, 2016

 

Enfin, Stéphanie d'Oustrac est sans pareil en Nicklausse/Muse. Voix chaude, suave et bien menée, elle se démarque tout d'abord par une présence scénique admirable, pleine d'humour et de conviction. Elle conquiert le public avec un "Voyez-la sous son éventail" désopilant et ses imitations d'Olympia tout aussi fraîches et divertissantes. Mais le "Vois sous l'archet frémissant" surtout est sublime et constitue un des sommets de la soirée. Conduit avec un sens du phrasé remarquable, l'air semble n'être qu'une seule longue phrase sans fin et les envolées sur "c'est l'amour vainqueur" sont icomparables.D'Oustrac Les Contes d'Hoffmann, Bastille 2016

Alors, dans ces conditions, je dirai que ces Contes d'Hoffmann sont sauvés !

Les Contes d’Hoffmann, opéra fantastique en trois actes, un  prologue et un épilogue de Jacques Offenbach sur un livret de Jules Barbier, 1881

Hoffmann : Ramón Vargas

La Muse / Nicklausse : Stéphanie d’Oustrac

Lindorf / Copélius / Miracle / Dapertutto : Roberto Tagliavini

Andrès / Cochenille / Pitichinaccio /Frantz : Yann Beuron

Olympia : Nadine Koutcher

Antonia : Ermonela Jaho

Giulietta : Kate Aldrich

La mère d’Antonia : Doris Soffel

Spalanzini : Rodolphe Briand

Luther / Crespel : Paul Gay

Schlemil : François Lis

Nathanaël : Cyrille Lovighi

Hermann : Laurent Laberdesque

 

Direction Musicale : Philippe Jordan

Mise en scène : Robert Carsen

Orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris

Opéra Bastille, 12 novembre 2016

15 août 2016

Renoncer à tout... sauf à la musique

            Renoncement. C’est ce mot qui pourrait résumer la vision de La Donna del Lago de Damiano Michieletto. La Donna del Lago outre d’être l’histoire du renoncement de Giacomo V à son amour pour Elena serait également celle du renoncement de cette dernière, son renoncement à l’amour du roi pour épouser Malcom. Cette interprétation se base sur les liens très forts créés par la musique entre le mystérieux Uberto, alias Giacomo V, et la belle dame du lac ainsi que le silence écrit par Rossini juste avant le mot « felicità » dans la cabalette finale, cette suspension qui donne l’impression d’une hésitation d’Elena sur le choix du substantif adéquat à sa situation. Cette idée de départ ainsi présentée peut laisser sceptique mais le travail de Michieletto est si approfondi, si juste d’intentions que l’on se laisse vite convaincre par sa mise en scène. L’opéra commence par une scène sans musique et sans parole. Dans un salon, un vieil homme est assis, celle qu’on suppose sa femme est debout derrière lui. Elle tente de lui dissimuler ses regards à la bague qu’elle porte au doigt et à la photo du roi Giacomo V, posée sur une petite table basse. Enfin, elle sort chercher des fleurs qu’elle arrange dans un vase à côté du portrait, le vieil homme jette les fleurs avec violence et renverse l’eau sur la table. L’ouverture commence, la vieille femme bouleversée se souvient de sa jeunesse, les murs du salon s’envolent et nous nous retrouvons dans une maison de la fin du XIXème siècle aux vitres cassées et à moitié envahie par les joncs. C’est ici que se déroulera tout l’opéra, dans une scénographie irréelle, romantique, brumeuse et inquiétante, sous les yeux des vieux Elena et Malcom, elle regrettant amèrement d’avoir sacrifié son amour pour le roi, lui maudissant la manière dont le cœur d’Elena lui a été ravi. Dans cette atmosphère sinistre, les passions se déchaînent avec violence, Elena jetant avec horreur sa robe de mariée qui lui annonce ses noces avec Rodrigo, Duglas mettant dans les mains de sa fille une carabine en lui répétant « Ti dica questo amplesso, / che mi sei cara ancor. », Giacomo V s’arrachant à Elena avec douleur, Malcom et Rodrigo retenant à peine leur haine en appelant la victoire de leurs vœux. Le final voit la transformation d’Elena jeune en Elena vieille, retournant au salon conjugal où Malcom jette avec dégout sa montre, cadeau de mariage de Giacomo.

Florez Jicia La Donna del Lago ROF 2016

            La direction de Michele Mariotti épouse à la perfection cette sombre vision de l’opéra. D’une direction souple, aérée, il crée une atmosphère de songes confus et effrayants. Utilisant toutes les sonorités de l’orchestre du Teatro Comunale di Bologna, il suspend le temps pendant le duo « Vivere io non potrò », sublime de douceur et de mélancolie, enflamme les passions guerrières et amoureuses du final du I, cloue la salle de terreur et d’angoisse dans le trio Elena/Giacomo V/Rodrigo et sait exprimer toute l’ambiguïté du rondo final.

            Les chanteurs suivent parfaitement le concept de Michieletto et Mariotti, conjuguant tous présence scénique et prouesse vocale. Albina serait un rôle traditionnel et banal de suivante sans sa magnifique partie dans le final du I où sa voix s’élève au-dessus de celle des druides (ici le chœur entier des guerriers) pour invoquer le temps où reviendra la paix. Ruth Inesta sait conférer à son intervention toute la magie et toute la poésie voulue, vocalisant de sa voix pure, claire et ronde, apaisant le torrent de passions qui l’a précédée.

Abrahamyan Brito Jicia Mimica Spyres La Donna del Lago ROF 2016

            Marko Mimica est un Duglas violent et belliqueux à la voix profonde mais souple comme le montre le rythme inhabituellement rapide de sa cabalette « Ma già le trombe squillano ! ». Son personnage est d’autant moins sympathique que toutes ses répliques de remerciements au final du II ont été coupées et qu’il reste donc muet devant la grâce qui lui est faite.

Jicia Mimica La Donna del Lago ROF 2016

 

            Le rôle de Rodrigo, avec ses sauts de registres, est un des plus périlleux écrit par Rossini. Michael Spyres, bien que possédant une timbre particulièrement agréable, n’est pas vraiment à la hauteur, avec des graves rauques et des aigus systématiquement en falsetto dans son aria di sortite. Au II, pour sa confrontation avec Giacomo V, il paraît bien meilleur avec plus d’homogénéité et une plus grande orthodoxie dans le style. Pour le reste, son aspect en scène correspond parfaitement aux impressions que peuvent laisser l’œuvre de Walter Scott. Il apparaît comme une sorte de monstre, mi-homme, mi-géant, violent, incapable de compréhension et de sentiment.

Florez Spyres La Donna del Lago ROF 2016

            Varduhi Abrahamyan, ovationnée après chacun de ses deux airs, possède un magnifique timbre de contralto, plein, chaud, riche de mille couleurs androgynes et d’aigus lumineux. Alliant à cet avantage donné par la nature un parfait respect du style rossinien et une colorature sûre et sans faille, elle s’impose avec facilité dans le rôle de Malcom, lui conférant autant de charme qu’au roi.

Abrahamyan La Donna del Lago ROF 2016

            Juan Diego Florez fêtait cette année les vingt ans de ses débuts éclatants au ROF qui l’ont consacré comme chanteur de niveau international. Depuis 1996, le ténor péruvien n’a cessé de se perfectionner dans ce répertoire rossinien qui lui sied si bien et auquel il est le seul à rendre aussi bien justice. Avec une voix lumineuse, naturelle, immédiatement séduisante, des aigus faciles et percutants, des nuances pianissimo tendres et songeuses, un art de la colorature à toute épreuve, il fait de Giacomo V un héros romantique, mélancolique et forcément malheureux, « un Werther généreux » pour reprendre la formule d’Alberto Zedda.

Florez La Donna del Lago ROF 2016

            Face à ces trois prétendants, chante la jeune soprano géorgienne Salome Jicia dont la carrière n’est encore qu’à l’état de début. Et c’est en réalité un début très prometteur qu’elle réalise, illuminant la scène en héroïne « pâle et blonde », digne sœur d’une Lucia di Lammermoor ou d’une Elvira d’I Puritani, notamment dans le final du I. Le timbre est particulièrement agréable à écouter, les aigus sont rayonnants et généreux, le médium fruité et la voix puissante. Tant d’atouts en font une Elena inoubliable, aussi inoubliable que la représentation entière.

Jicia La Donna del Lago ROF 2016

La Donna del Lago, mélodrame en deux actes de Gioachino Rossini sur un livret d’Andrea Leone Tottola, 1819 

Elena : Salome Jicia

Giacomo V – Uberto : Juan Diego Florez

Malcom : Varduhi Abrahamyan

Rodrigo : Michael Spyres

Duglas : Marko Mimica

Albina : Ruth Inesta

Serano / Bertram : Francisco Brito

Elena anziana : Giusi Merli

Malcom anziano : Alessandro Baldinotti

 

Direction musicale : Michele Mariotti

Mise en scène : Damiano Michieletto

Orchestra e Coro del Teatro Comunale di Bologna

Rossini Opera Festival (Pesaro), Adriatic Arena, le 11 août 2016

15 août 2016

Homogénéité parfaite

Le lendemain de l’ouverture de la trente-septième édition du Rossini Opera Festival, est présenté au Teatro Rossini Il Turco in Italia dans une nouvelle production signée Davide Livermore. Celle-ci utilise la très usitée, mais excellente quand elle est bien exploitée, idée du théâtre dans le théâtre. C’est ainsi que l’opéra ne commence pas par l’ouverture mais par une scène parlée où les membres de la ditribution presse Pietro Spagnoli de trouver une intrigue. L’ouverture commence et des images projetées nous montre ce-dernier s’endormir et « s’envoler » pour trouver l’inspiration. Par la suite, affublé au I d’une toge et accompagné par une équipe de figurantes jouant sa secrétaire, la script etc., Prosdocimo à sa machine à écrire invente l’histoire de l’opéra, transposée dans les années 50, changeant son cours en écrivant des dialogues de dernières minutes, filmant la scène des masques. La scénographie est assez dépouillée. Au I, un bâtiment blanc avec un balcon occupe l’arrière de la scène tandis que le devant est transformé à l’aide de quelques accessoires (un tonneau chez Prosdocimo, des draps blancs ondulants pour la mer du port, des tables et des chaises chez Fiorilla). Le II fonctionne sur le même système jusqu’à l’air de Don Geronio « Se ho da dirla, avrei molto piacere », chanté en avant-scène devant des rideaux blancs. Par la suite, on se retrouve sur le plateau de tournage du film de Posdocimo, grand espace vide, à l’exception du fond où se trouve un grand escalier noir, où les machinistes déplacent des bouts de décors. La mise en scène se trouve très fidèle au livret, excepté l’inexplicable travestissement d’Albazar, la longue barbe arborée par Zaida qui semble faire l’étonnement puis les délices de Selim et l’état de prêtre de Narciso. Ce dernier parti pris surprend d’autant plus que, dans le programme, on trouve parmi les dessins pour les costumes un Narciso en chemisette et pantalon. La direction d’acteur est impressionnante, aussi bien que les déplacements complexes et parfaitement orchestrés des chœurs.

Peretyatko Schrott Il Turco in Italia ROF 2016

Speranza Scappucci dirige avec beaucoup de vitalité un Filarmonico Rossini piquant et plein de verve. Extrêmement à l’écoute des chanteurs, elle soutient la mise en scène en adaptant chaque phrasé, chaque nuance, chaque intention à la situation du plateau.

Chez les chanteurs, tout le monde évolue à un excellent niveau avec presque aucun déséquilibre. Pietro Adaini est un Albazar d’abord timide avec une certaine tendance à s’effacer dans les ensembles. Mais dans « Ah ! sarebbe troppo dolce », le fameux « air des sorbets », il se révèle un comédien drôle et spirituel doublé d’un chanteur très agile avec un timbre clair mais rond et des aigus faciles. On entend ici la promesse d’un excellent ténor. Cecilia Molinari prête à Zaida une voix très pure et lisse alliée à un jeu volontairement excessif et appuyé.

Dans le rôle de Prosdocimo, Pietro Spagnoli déploie avec un naturel bluffant sa connaissance infaillible du répertoire rossinien et son timbre si aisément reconnaissable, à la fois rugueux et brillant.

Spagnoli Il Turco in Italia, ROF, 2016

Le jeune ténor américain René Barbera arrache à la salle conquise un rugissement de plaisir après un « Tu seconda il moi disegno »  anthologique. Avec une énergie et une fougue incroyables, il chasse en quelques secondes son étrange personnage de prêtre pour devenir un homme furieux, jaloux et assoiffé de vengeance à la voix chaude et cuivrée, aux aigus puissants et sûrs, à la santé vocale étonnante. Comme si tous les désirs de ce prêtre plutôt effacé se déchaînaient en un instant pour produire un « justicier » de chair et de sang.

Nicola Alaimo est accueilli aux saluts par une ovation des plus chaleureuse et enthousiastes. Et comment en effet ne pas aimer son Don Geronio ? Impressionant de clarté dans la diction, possédant le timbre le plus sympathique, le plus chaleureux qui soit, magnifiant chaque phrase de son rôle par un art du bel canto sans concession à la facilité, le baryton italien s’impose aussi comme acteur. On ne peut que l’admirer, jouant un mari à la fois si amoureux et si excédé, si docile et si honteux de l’être. Son duo « Per piacere alla signora » avec Olga Peretyatko le montre si digne de pitié, si tendre et si drôle qu’on ne peut pas lui résister bien longtemps.

Alaimo Il Turco in Italia, ROF, 2016

Olga Peretyatko est une Fiorilla ravissante, aussi belle dans ses costumes années 50 qu’époustouflante dans ses vocalises. Bien que piquante et pleine de charme dans « Non si dà follia maggiore », c’est dans son second air, « Squallida veste, e bruna », qu’on l’a préférée. De cette voix chamarrée aux mille reflets qui l’ont rendue célèbre, la soprano russe dessine des vocalises aériennes, les couronne d’aigus à couper le souffle, exprime tout son désespoir dans un pianissimo sans fin et nous laisse muet d’une admiration doublée par l’impassibilité de l’artiste devant la sonnerie de téléphone insistante qui tente de la déstabiliser.

Peretyatko Il Turco in Italia, ROF, 2016

A une séduisante et gracieuse Fiorilla revient un truculent et charmeur Selim. Erwin Schrott apparaît pour la première fois dans un halo de lumière tamisée, sous une lune aux reflets exotiques, coiffé d’un turban rouge et blanc, brandissant son sabre d’or. D’emblée, on apprécie ce Selim légèrement cabotin qui envoie des baisers aux belles italiennes en faisant admirer ses muscles. Vocalement, le timbre profond et riche de la basse uruguayenne ainsi qu’un respect du style exemplaire séduisent tout autant.

Schrott Il Turco in Italia ROF 2016

A la fin du spectacle, les sourires rayonnants des artistes comme des spectateurs montrent bien que le plaisir se trouvait ce soir-là des deux côtés.

Adaina Alaimo Barbera Peretyatko Schrott Spagnoli Molinari Il Turco in Italia, ROF, 2016

Il Turco in Italia, drama buffo en deux actes de Gioachino Rossini sur un livret de Felice Romani, 1814 ?

Selim : Erwin Schrott

Donna Fiorilla : Olga Peretyatko

Don Geronio : Nicola Alaimo

Narciso : René Barbera

Prosdocimo : Pietro Spagnoli

Zaida : Cecilia Molinari

Albazar : Pietro Adaini

 

Direction musicale : Speranza Scappucci

Mise en scène : Davide Livermore

Filarmonica Gioacchino Rossini

Coro del Teatro della Fortuna M. Agostini

Rossini Opera Festival (Pesaro), Teatro Rossini, le 9 août 2016

22 juin 2016

Jubilatoire

            Le Festival de Glyndebourne représentait hier 21 juin 2016 Il Barbiere di Siviglia dans une mise en scène d’Annabel Arden. Parfaitement fidèle au livret, celle-ci s’est révélée particulièrement efficace. Le décor fortement poétique rappelle une Espagne de songes faite de motifs orientaux dans les tons bleus et blancs. Les costumes sont également très réussis. Les tenues de Rosine sont au I dans les tons rose pâle puis dans des bordeaux plus sombres au II. Tout au long de l’opéra, elles sont caractérisées par une abondance de fleurs et de volants. Mais la principale force de cette mise en scène réside dans une chorégraphie magistralement orchestrée reposant sur des pas de danses et une gestuelle marquée. Le tout crée un spectacle fort agréable à voir, à l’aspect propre et soigné.

Bürger Corbelli De Niese Kelly Stamboglis Stayton Il Barbiere di Sivglia, Glyndebourne, 2016

            Dans la fosse, Enrique Mazzola, à la tête du London Philarmonic Orchestra, s’efforce de créer une atmosphère sonore correspondant à la scène. Sa direction est allègre et enjouée, poétique et expressive quand il le faut. On ne trouvera pas ici de rythmes débridés comme c’est si souvent le cas dans cette pièce. Et qui s’en plaindra ? Car au moins, cela permet aux chanteurs de rester à l’aise dans une partition particulièrement complexe et d’en explorer les moindres détails.

            Du côté du chant, en effet, il y a beaucoup de belles choses à entendre. A commencer même dans le petit rôle de Berta. Janis Kelly campe un personnage comique bien assumé. Ce qui crée l’admiration cependant, ce n’est pas son jeu mais un « Il vecchietto cerca moglie » particulièrement bien chanté avec des aigus dépourvu d’acidité – c’est si rare chez les titulaires de Berta- et au contraire sains et puissants.

Kelly Il Barbiere di Siviglia, Glyndebourne, 2016

            On a connu des Basilios plus désopilants que Christophoros Stamboglis. Celui-ci se concentre plus sur la beauté de son chant et la précision de son ornementation. Par comparaison, le Don Bartolo d’Alessandro Corbelli n’en apparaît que plus drôle. Le baryton italien enchaîne gag sur gag tout en conservant une ligne de chant impeccable où l’on aperçoit à peine la marque du temps. Il est vrai qu’il est titulaire du rôle depuis si longtemps qu’il en connaît toutes les facettes. Quel plaisir que d'entendre un chanteur en si complet accord avec l'écriture de son rôle !Corbelli Il Barbiere di Siviglia, Glyndebourne, 2016

            L’Almaviva de Taylor Stayton est parfait sur le plan vocal mais assez pâle sur le plan théâtral. Il faut avouer que le grand espagnol est un personnage fluet en face de Figaro, surtout quand le « Cessa di più resistere » est coupé. Et Björn Bürger est un excellent Figaro. Belle voix bien maîtrisée, le baryton campe un personnage rusé et malicieux.Bürger Stayton Il Barbiere di Siviglia, Glyndebourne, 2016

            La grande reine de la soirée reste cependant Danielle de Niese en Rosina. Elle est tout d’abord une présence scénique incroyable. Ravissante dans ses tenues successives, elle incarne une jeune fille amoureuse pleine de malice et de vivacité. Vocalement, le registre grave est parfois à la limite de ses possibilités mais le médium et surtout l’aigu sont rayonnants de santé, de soleil et de précision. On reste confondu par son interprétation terriblement émouvante de l’air alternatif « Ah, s’è ver, in tal momento », placé juste avant l’orage.De Niese Il Barbiere di Siviglia, Glyndebourne, 2016

            C’était en somme une belle soirée qu’on nous a offert à Glyndebourne. Et devant une musique si jubilatoire, pourquoi bouder son plaisir ?Bürger Corbelli De Niese Kelly Stayton Il Barbiere di Sivglia, Glyndebourne, 2016

Il Barbiere di Siviglia, opéra-bouffe en deux actes de Gioacchino Rossini sur un livret de Cesare Sterbini, 1816

Rosina : Danielle de Niese

Berta : Janis Kelly

Figaro : Björn Bürger

Il Conte di Almaviva : Taylor Stayton

Don Bartolo : Alessandro Corbelli

Don Basilio : Christophoros Stamboglis

 

Direction musicale : Enrique Mazzola

Mise en scène : Annabel Arden

London Philarmonic Orchestra

The Glyndebourne Chorus

Retransmis en diret de Glyndebourne, le 21 juin 2016

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17 avril 2016

Historique

Soirée historique entre toutes que celle-ci. Tout d’abord, cette série de représentations est la première de Roberto Devereux proposée par le Met. Ensuite, Sondra Radvanovsky chantait sa deux centième représentation au Metropolitan Opera de New York. De plus, cette même chanteuse parachevait aujourd’hui son parcours de la trilogie Tudor de Donizetti. Après avoir chanté Anna Bolena et Maria Stuarda cette saison à New York, la soprano russe offrait au public, non seulement du Met, mais aussi du monde par le biais de la retransmission en live le dernier portrait de reine : Elisabetta. Enfin, et c’est surtout pour cette raison qu’on retiendra cette représention, nous avons assisté ce soir à ce que doit être un opéra, c’est-à-dire une parfaite adéquation entre musique et théâtre portée par une direction et des chanteurs-acteurs d’exception.

La direction de Maurizio Benini a sans doute été un des meilleurs atouts de la production. Dès une ouverture énergique, riche en nuances et en changements d’atmosphère, le chef pose les bases de sa vision de l’œuvre : un dramatisme puissant fait de colère et de jalousie tonitruantes et d’intériorisation douloureuse.

David McVicar de son côté a opté, comme à son habitude, pour une mise en scène plutôt traditionnelle. L’action se passe dans un décor unique noir et doré extrêmement pesant et sombre. Sur les côtés en hauteur, deux balcons pour les chœurs, trois portes dans le fond et des allégories du temps (l’horloge cachée derrière le mur du fond, le sablier) complètent le tableau. Dans ce théâtre angoissant, le metteur en scène installe une direction d’acteurs particulièrement intense. Chaque personnage s’abandonne à la violence de ses émotions avec une véracité stupéfiante.

Garanca Polenzani Roberto Devereux, Met, 2016

Pour ce qui ce qui est du chant, le Met s’est offert comme si souvent le luxe d’une distribution sans tache. Tout d’abord, que dire de Sondra Radvanovsky sinon qu’elle est parfaite dans son rôle de bout en bout. Depuis son entrée en reine toute puissante et cruelle jusqu'à sa folie et à sa mort de femme brisée, elle délivre une performance passionante, tant sur le plan vocal que sur le plan dramatique où elle offre des moments captivants, notamment son duo avec Kwicien qui devient par la suite un trio avec Polenzani.

Radvanovsky Roberto Devereux, Met, 2016

Pour rester chez les dames, parlons d’Elina Garanca. La première chose qui frappe, c’est évidemment la beauté de cette voix que l’on ne vantera jamais assez, ce timbre grave, rond, plein et sensuel. Mais comment n’être pas également sensible à ce chant expressif et souple qui se plie à toutes les vocalises de la partition et à toutes les émotions du livret. Dans son premier air, « All’afflito è dolce il piante », et ce jusqu’au duo avec Devereux, la mezzo lettone incarne une femme mélancolique, abattue et douloureusement tiraillée par son devoir d’épouse. Le duo avec Devereux la voit changer du tout au tout. Elle devient une amante tragique et sacrificielle. C’est peut-être alors là qu’on l’a préférée tant elle habite ce personnage avec une force peu commune. Le duo du III avec le duc de Nottingham est donc un aboutissement et dans ce déchainement de passions violentes Elina Garanca nous prouve ce qu’elle est : une artiste au sommet de son art.

Garanca Roberto Devereux, Met, 2016

Chez les messieurs, on ne peut également que louer les deux chanteurs principaux. Mariusz Kwiecien trouve en Nottingham un personnage sur mesure pour son baryton chatoyant et profond. Tout le premier acte et le début du deuxième le montrent en ami dévoué, brisé par la possible condamnation de Devereux. Evidemment, on sent déjà poindre dans « Forse in quel cor sensibile » le mari jaloux mais c’est surtout en ami loyal dans la cabalette que le baryton polonais impressionne. En effet, on peut ici constater que Mariusz Kwiecien est en ce moment dans une forme vocale impressionnante. Il ne fait qu’une bouchée des difficultés toutes belcantistes de sa cabalette. Au II, il est tout simplement bouleversant dans son trio avec Elisabetta et Devereux. Que dire de ce « Sara ! » chanté comme dans un murmure où l’on entend déjà l’orage gronder quand Elisabetta confronte Devereux à sa trahison ? C’est dans son duo avec Sara qu’il atteint les cimes. En mari jaloux, ivre de vengeance et de sang, Mariusz Kwiecien est effrayant. Son chant puissant, autoritaire et son timbre de bronze mis au service d’une incarnation du personnage époustouflante n'y sont pas pour rien.

Garanca Kwiecien Roberto Devereux, Met, 2016

Enfin, Matthew Polenzani triomphe dans le rôle-titre. Grand habitué de Donizetti puisqu’il a chanté (liste non-exhaustive) Nemorino (L’elisir d’amore), Ernesto (Don Pasquale), Edgardo (Lucia di Lammermoor) et Leceister (Maria Stuarda), il possède cet art de la vocalise, ce rafinement dans la ligne de chant et ces nuances piano/pianissimo qui font de lui le meileur interprète actuel du rôle. En héros perdu par un destin impitoyable, déchiré entre la femme qui l’aime et qui doit lui donner le pouvoir, la femme qu’il aime et le mari de cette dernière qui se trouve être son meilleur ami, le ténor américain fait d’abord preuve de vaillance et même de violence dans son duo avec Elisabetta – Ah ! « Un tenero cor » fut-il jamais plus contrasté entre cette froide colère conte la reine et ces élans de tendresse pour Sara ?- avant de s’enfermer dans une douloureuse introspection. Son dernier air le montre royal dans la maîtrise de son personnage et de son chant.

Polenzani Radvanovsky Roberto Devereux, Met, 2016

On l’aura compris, cette soirée restera dans les mémoires.Kwiecien Radvanovsky Roberto Devereux, Met, 2016

Roberto Devereux, opéra en trois actes de Gaetano Donizetti sur un livret de Salvatore Cammarano, 1837

Roberto Devereux, Conte di Essex : Matthew Polenzani

Lord Duca di Nottingham : Mariusz Kwicien

Sara, Duchessa di Nottingham : Elina Garanca

Elisabetta, Regina d’Inghilterra : Sondra Radvanovsky

Lord Cecil : Brian Downen

Sir Gualtiero Raleigh : Christopher Job

Un paggio : Yohan Yi

Un familiare di Nottingham : Paul Corona

 

Direction musicale : Maurzio Benini

Mise en scène : David McVicar

Orchestre et chœur du Metropolitan Opera

Retransmis en direct du Metropolitan Opera, le 16 avril 2016

4 avril 2016

Ludovic Tézier et Jonas Kaufmann magistraux

Cette production de La Forza del Destino était un temps fort de la saison 2013/2014 du Bayerische Staatsoper. Elle est maintenant proposée en DVD par Sony Classical, maison de disques de Jonas Kaufmann.

Harteros Kowaljow La Forza del Destino, München, 2014 

Ne nous mentons pas, c'est d'abord pour sa distribution vocale que ce DVD vaut d'être regardé. Et quelle distribution ! Elle réunit en effet trois des meilleurs chanteurs verdiens d'aujourd'hui, Anja Harteros, Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier, entourés d'excellentes voix comme celles de Nadia Krasteva et de Vitalij Kowaljow. 

Kaufmann Tézier La Forza del Destino, München, 2014

 

 

Nadia Krasteva, pour commencer, est une Preziosilla de très bonne école. Timbre chaud et graves amples, particulièrement mise en valeur dans le "Rataplan", la mezzo bulgare sait également éviter la vulgarité dans laquelle tant d'interprètes font tomber la gitane. 

Krasteva La Forza del Destino, München, 2014

 

 

 

Anja Haretros s'impose dès ses premières notes comme une Leonora captivante. On ne vantera jamais assez son timbre chatoyant d'authentique soprano dramatique aux aigus lumineux et aux multiples couleurs tantôt chaudes tantôt glacées. Impressionnante de bout en bout dans son rôle d'héroïne frappée par le destin, la soprano allemande se distingue par une prestance de grande classe et un chant tout en raffinement et en détails.

Harteros La Forza del Destino, München, 2014

 

Du côté des messieurs, Renato Girolami campe un Fra Melitone vocalement impeccable aux vocalises soignées et à l'authentique timbre de baryton bouffe. Théâtralement, on a connu des Melitone plus truculents mais celui-ci possède déjà un chant si convaincant qu'on ne lui en tient pas rigueur.

Girolami La Forza del Destino, München, 2014

Vitalij Kowaljow s'est vu confier non seulement le rôle du Marchese di Calatrava mais aussi celui de Padre Guardiano. Convainquant aussi bien dans l'un que dans l'autre, Vitalij Kowaljow impose sa profonde voix de basse à la noirceur lumineuse et un jeu autoritaire. 

Harteros Kowaljow La Forza del Destino, München, 2014

Mais les sommets de la soirée sont atteints par le duo d'exception formé par Joans Kaufmann et Ludovic Tézier. Séparément, le ténor bavarois et le baryton français sont déjà époustouflants : au premier, le timbre sombre et mélancolique du héros torturé, les pianissimi d'une douceur incomparable et les dons théâtraux indéniables, au second, l'authentique voix de baryton verdien, la ligne de chant d'une noblesse sans pareil et  le timbre brillant. Mais dans leurs nombreux duos, les deux chanteurs font merveille. Le "Solenne in quest'ora" est à couper le souffle quand ces deux voix s'entremêlent dans l'ultime témoignage d'une amitié vouée à la destruction. Quant à leur confrontation du IV, elle justifie à elle seule l'enregistrement tant il est rare d'entendre et de voir une telle cohésion musicale et dramatique. Que dire enfin sinon que c'est sans doute la meilleure version de cette scène ?

Kaufmann Tézier, La Forza del Destino, Münich, 2013

La mise en scène de Martin Kušej avait lors de la création suscité beaucoup de critiques. Nous n'en avons pas été choqués. L'action est située à notre époque dans un pays en guerre. Cette actualisation n'altère en rien l'intrigue et on lui doit même de belles images telle cette pièce renversée au début du III. On apprécie également l'idée d'avoir fait de Padre Guardiano une "réincarnation" de Calatrava. Ainsi le personnage du père ayant renié sa fille devient plus humain puisqu'il revient la protéger. De même, l'opéra s'ouvrant sur la table familiale des Calatrava et se fermant sur cette même image avec, en plus, Alvaro qui s'en éloigne est une idée qui a emporté tous nos suffrages.

Harteros Kaufmann Kowaljow Tézier La Forza del Destino, München, 2014

 

 

Quoi qu'il  en soit, cette version de La Forza del Destino est à acquérir à tout prix pour sa superbe distribution vocale menée par le duo Jonas Kaufmann/Ludovic Tézier.

La Forza del Destino Sony Classical

La Forza del Destino, Opéra de Giuseppe Verdi sur un livret de Francesco Maria Piave, 1862

Don Alvaro : Jonas Kaufmann

Don Carlo di Vargas : Ludovic Tézier

Leonora : Anja Harteros

Preziosilla : Nadia Krasteva

Marchese di Calatrava / Padre Guardiano : Vitalij Kowaljow

Fra Melitone : Renato Girolami

Curra : Heike Grötzinger

Un alcade : Christian Rieger

Maestro Trabuco : Francesco Petrozzi

Un chirurgo : Rafal Pawnuk

 

Directin musicale : Asher Fisch

Mise en scène : Martin Kušej

Orchestre et Choeur du Bayerische Staatsoper

Enregistré au Bayerische Staatsoper en 2014

16 février 2016

"Les quatre meilleurs chanteurs du monde"

Une célèbre boutade, attribuée parfois à Arturo Toscanini, parfois à Tullio Serafin ou Enrico Caruso, dit que "pour distribuer Il Trovatore il vous suffit des quatre meilleurs chanteurs du monde". Sans aucun doute, l'Opéra de Paris s'est donné les moyens de la réussite en engageant quatre des meilleurs, voire les meilleurs, chanteurs verdiens actuels. Avant de parler de cette distribution idéale, parlons du cinquième rôle de cet opéra : Ferrando, le chef des gardes du Comte. Roberto Tagliavini délivre une interprétation passionnante depuis son air d'entrée jusqu'à l'arrestation d'Azucena au début du III. Belle voix de basse, timbre chaud et technique irréprochable lui permettent de brosser en quelques scènes un personnage profondément hanté par le passé et assoifé de vengeance.Netrebko Il Trovatore, Bastille, 2016

La voix solaire de Marcelo Alvarez fait merveille dans le rôle de Manrico. On admire toujours ce chant naturel et sans fard ainsi que cette voix dorée et lumineuse. Dommage que ce chanteur hors-pair ne soit pas un acteur de la même ampleur. Si sa rivalité avec le Comte est plutôt crédible, son amour avec Leonora paraît singulièrement artificiel.

Son rival en guerre et en amour est chanté par Ludovic Tézier. Baryton verdien dans la lignée directe de Piero Cappucilli et Renato Bruson, il dessine le portrait d'un Conte di Luna orgueilleux, violent et pervers. Dès son entrée au I, il déploie des qualités vocales époustouflantes : sens de la ligne sans pareil, notes tenues sur le souffle, voix homogène aux aigus éblouissants. Et quelle élégance dans le chant et le jeu ! Quelle noblesse, même dans les passages les plus tendus, qui s'accorde si bien au personnage. Le public ne s'y trompe pas, gratifiant son air "Il balen del suo sorriso" d'une longue et bruyante ovation amplement méritée.Tézier Il Trovatore, Bastille, 2016

Ekaterina Semenchuk fait des débuts fracassants à l'Opéra de Paris. Voix profonde, chaude et ronde, timbre de bronze aux reflets mordorés, la mezzo russe joue de ces avantages ainsi que de ses aigus précis et faciles et de ses graves riches pour brosser une Azucena de chair et de sang, hantée par les fantômes du passé. Ses "Mi vendica" glacent littéralement le sang. Ses deux duos avec Marcelo Alvarez sont des moments de pure magie. Elle est proprement effrayante dans la scène du bûcher et dans son exhortation au meurtre du Comte. Son désespoir final est si crédible qu'on en pleurerait.Semenchuk Il Trovatore, Bastille, 2016

Anna Netrebko en Leonora était très attendue. Elle avait dû annuler les deux représentations précédentes pour raison de santé. Ce soir la soprano russe semble remise. Seule une descente étranglée dans "D'amor sull'ali rosee" témoigne de sa récente bronchite. Pour le reste, elle incarne une Leonora particulièrement crédible. Timbre opulent et sensuel ainsi qu'une présence scénique incandescente nous conquièrent dès son entrée et nous tiennent en haleine jusqu'aux dernières notes.Netrebko Il Trovatore, Bastille, 2016

La mise en scène d'Alex Ollé transpose l'action pendant la Première Guerre Mondiale. Le dispositif scénique est beau et ingénieux. Des pavés montent et descendent du sous-sol jusqu'aux tringles. Cependant, cette production présente un défaut, malheureusement commun : l'absence de direction d'acteurs. Les chanteurs ont visiblement été livrés à eux-mêmes. Et s'ils ont tout de même tiré leur épingle du jeu, c'est parce qu'ils ont su compenser cette lacune par un investissement personnel et une qualité vocale hors-norme. Que restera-t-il avec une distribution moins prestigieuse ?

Quoiqu'il en soit, on gardera un souvenir impérissable de cette soirée exceptionnelle portée par "les quatre meilleurs chanteurs du monde".

 

 

Netrebko Tézier Il Trovatore, Bastille, 2016

 

 

 

 

 

 

 

Il Trovatore, Opéra de Giuseppe Verdi sur un livret de Salvatore Cammarano, 1853

Il Conte di Luna : Ludovic Tézier

Leonora : Anna Netrebko

Azucena : Ekaterina Semenchuk

Manrico : Marcelo Alvarez

Ferrando : Roberto Tagliavini

Ines : Marion Lebègue

Ruiz : Oleksiy Palchykov

Un vecchio zingaro : Constantin Ghircau

Un messo : Cyrille Lovighi

 

Direction musicale : Daniele Callegari

Mise en scène : Alex Ollé

Orchestre et choeurs de l'Opéra National de Paris

Opéra Bastille, lundi 15 février 2016

13 février 2016

De l'énergie à revendre...

Cette production d'Il Barbiere di Siviglia, signée Damiano Michieletto, avait été crée à Genève en 2010 avant d'être jouée à Paris en 2014 avec Karine Deshayes en Rosina et Florian Sempey. Cette année, elle est reprise avec une distribution prestigieuse qui réunit des chanteurs belcantistes de renom tels Nicola Alaimo ou Lawrence Brownlee. La mise en scène de Michieletto est toujours aussi impressionante par son énergie et sa vitalité. Les actions se déroulent tantôt sous les fenêtres de Don Bartolo, tantôt à l'intérieur même de la maison dans les différents étages. On monte les escaliers, on les descend, on passe de pièce en pièce, le décor tourne à tout moment : quel dynamisme !

Il Barbere di Siviglia, Bastille, 2016

Côté orchestre, on est emballé par la vision très légère, délicate et ciselée que Giacomo Sagripanti propose d'Il Barbiere di Siviglia. L'ouverture est extrêmement personnelle et originale.

Arduini Yende Il Barbiere di Siviglia, Bastille, 2016

Pour ce qui est des chanteurs, on est littéralement emporté à quelques exceptions près. Tout d'abord, la jeune soprano française Anais Constant est une Berta de très haute école. Son air "Il vecchietto cerca moglie" est un très beau moment. L'actrice dessine un personnage de femme vieillissante et solitaire très touchant.

Le choix d'une soprano pour chanter Rosina nous paraît peu judicieux, surtout après que des mezzo telles que Teresa Berganza, Frederica Von Stade ou Joyce DiDonato ont définitivement reconquis le rôle. On se souvient, de plus, que Rossini ne supportait pas les Rosina sopranos qui se permettaient de rajouter toutes sortes de vocalises qu'il n'avait pas écrites. Une fois cette réserve faite, on peut toute fois constater que Pretty Yende est une Rosina scéniquement très crédible aux vocalises personnelles et imposantes.Brownlee Yende Il Barbiere di Siviglia, Bastille, 2016

Du côté des messieurs, il n'y a que des éloges à faire. Tous sont parfaitement en adéquation avec l'écriture et le comique rossinien. Alessio Arduini est un Figaro de bonne tenue. Il maîtrise parafaitement son rôle de factotum malicieux.Arduini Il Barbiere di Siviglia, Bastille, 2016

Lawrence Brownlee fait merveille en Conte di Almaviva. Inhabituellement gauche et bouffon, il fait rire la salle par ses pitreries tout au long de l'opéra. Cependant, c'est dans l'air "Ah, il più lieto" que le ténor américian nous a le plus ému. Brownlee Il Barbiere di Siviglia, Bastille, 2016

Nicola Alaimo qui s'est affirmé ces dernières années comme un des chanteurs incoutournables du répertoire rossinien campe un Don Bartolo vocalement irréprochable. Prononciation limpide, agilité époustouflante et timbre immédiatement reconnaissable sont au rendez-vous pour le plus grand plaisir du spectateur. Son personnage, plus fouillé psychologiquement qu'il n'est coutume, est à la fois inquiétant et drôle.Alaimo Brownlee Yende Il Barbiere di Siviglia, Bastille, 2016

Ildar Abdrazakof est un Don Basilio d'exception. Vocalement, le chanteur russe donne l'impression d'effectuer une promenade de santé dans un répertoire pourtant complexe. Sa voix grave et chaude d'authentique basse russe passe sans aucune difficulté la rampe. Il dresse le portrait d'un Don Basilio conspirateur et presque paranoïaque dans sa première intervention puis complètement déjanté. On reste pantois devant un tel investissement scénique allié à une telle perfection vocale.

Abdrazakof Alaimo Arduini Brownlee Constant Yende Il Barbiere di Siviglia, Bastille, 2016

Il Barbiere di Siviglia, Gioacchino Rossini, 1816

Figaro : Alessio Arduini

Il Conte d'Almaviva : Lawrence Brownlee

Rosina : Pretty Yende

Don Bartolo : Nicola Alaimo

Don Basilio : Ildar Abdrazakov

Berta : Anais Constant

Fiorello : Pietro Di Bianco

Un ufficiale : Laurent Laberdesque

 

Direction musicale : Giacomo Sagripanti

Mise en scène : Damiano Michieletto

Orchestre et choeurs de l'Opéra National de Paris

Opéra Bastille, vendredi 12 février 2016

24 janvier 2016

Un Werther et une Charlotte incandescants

La mise en scène de Werther par Benoît Jacquot a été achetée en 2010 par Nicolas Joël dans le but d'offrir un écrin où les plus grands interprètes pourraient se succéder sans problèmes théâtraux majeurs. Sans aucun doute, on peut dire que cet objectif a été atteint : après Jonas Kaufmann et Sophie Koch en 2010 puis Roberto Alagna et Karine Deshayes l'année passée, c'est au tour de Piotr Beczala et Elina Garanca d'endosser la veste bleue et la robe blanche de Werther et Charlotte. La mise en scène en question impressionne toujours par ses décors somptueux et ses costumes agréables à l'oeil. Beczala Garanca Werther, Bastille, 2016

La direction musicale avait originellement été confiée à Alain Lombard. Celui-ci a été remplacé par Michel Plasson qui a lui-même annulé. C'est donc le jeune Giacomo Sagripanti qui a dirigé la représentation. Sa direction est vivante et inspirée. Le drame avance avec énergie sans pour autant exclure les passages plus élégiaques. L'Orchestre de l'Opéra de Paris sonne magnifiquement.

Du côté des chanteurs, on est très favorablement impressionné par la Sophie d'Elena Tsallagova. Sa voix est pure, claire et agile. Chacune de ses interventions est un charmant moment de légèreté et d'innocence. Son intervention à l'acte II est particulièremnt fraîche et émouvante.

Stéphane Degout est un superbe Albert. Ecrasant d'autorité, le timbre rayonnant et la diction parfaite du bartyon français font merveille dans ce rôle qu'il transcende.

Beczala Degout Werther, Bastille, 2016

 

Le rôle de Charlotte trouve en Elina Garanca une interprète idéale. Authentique mezzo-soprano au timbre sensuel et profond, elle possède de magnifiques graves puissants et sonores ainsi que des aigus lumineux et rayonnants. Sa diction française, malheureusement un peu pâteuse en certains endroits, est son seul point faible. On admire en revanche l'évolution qu'elle fait suivre à son personnage. D'abord innocente et impassible, sa Charlotte devient au fil des actes une femme tourmentée et passionnée.Beczala Garanca Werther, Bastille,2016

Enfin, le Werther de Piotr Beczala laisse béat d'admiration. Sa diction est parfaitement intelligible. Sa voix est lumineuse et claire, ses aigus sont triomphants. On est transporté par ce chant élégant et précis. C'est une véritable leçon de style que délivre le ténor polonais qui se confirme comme une des figures incontournables du chant français actuel. Quant au personnage, finement dessiné, chacun des ses traits de caractère est habilement mis en relief. Ce Werther est sensible, tendre et mélancolique mais aussi passionné et désespéré.Beczala Garanca Werther, Bastille, 2016

On retiendra sans aucun doute cette soirée, illuminée par ses Werther et Charlotte d'exception.

 

Werther, Jules Massenet, 1892

Werther : Piotr Beczala

Charlotte : Elina Garanca

Albert : Stéphane Degout

Sophie : Elena Tsallagova

Le Bailli : Paul Gay

Schmidt : Rodolphe Briant

Johann : Lionel Lhote

Brühlmann : Piotr Kumon

Kätchen : Pauline Texier

 

Direction musicale : Giuseppe Sagripanti

Mise en scène : Benoît Jacquot

Orchestre de l'Opéra de Paris

Maîtrise des Hauts-de -Seine

Choeur d'enfants de l'Opéra de Paris

 

Opéra Bastille, Opéra National de Paris, 23 janvier 2016

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