Cette reprise des Contes d’Hoffmann dans la mise en scène de Robert Carsen, créée in loco il y a seize ans suscitait l’intérêt et l’impatience du monde lyrique depuis son annonce. En effet, l’Opéra National de Paris avait réussi à rassembler une distribution très prometteuse dominée par le ténor adulé du public : Jonas Kaufmann. Cet été, le spectacle avait déjà été mis à mal par l’annulation pour cause d’heureux événement de Sabine Devieihle qui devait faire ses débuts en Olympia. Mais la direction de la grande boutique n’était pas au bout de ses peines : au mois d’octobre, Jonas Kaufmann se retirait à son tour de la production pour raisons de santé, provoquant un tollé chez les malheureux possesseurs de billets. En effet, ceux-ci ont payé un tarif plus élevé pour voir le ténor allemand que ceux qui ont acheté des billets pour les représentations avec le ténor en alternance, Stefano Secco. Pour apaiser le scandale, on engage Ramon Vargas, chanteur émérite, en remplaçant et on offre aux abonnés des places pour un spectacle supplémentaire. C’est maintenant à l’équipe artistique de surmonter et de faire oublier l’absence de leurs collègues.
S’il y a un élément annoncé qui ne déçoit pas, c’est bien la mise en scène de Robert Carsen, une des plus réussies de l’artiste canadien. Jouant avec virtuosité du théâtre dans le théâtre, il fait de la taverne du prologue et de l’épilogue la buvette des artsites, situe l’acte d’Antonia dans une fosse d’orchestre et un décor de Don Giovanni et celui de Giulietta dans la salle. Dans les décors à couper le souffle, Carsen peint l’idéal féminin d’Hoffmann : la Stella. Toutes les femmes ne sont que des déclinaisons de la cantatrice, d’Olympia à Giulietta en passant par Antonia et sa mère. Ce parti pris permet une continuité dans l’œuvre très appréciable. On espère que l’Opéra de Paris gardera encore longtemps cette production à son répertoire.
Dans la fosse, l’Orchestre de l’ONP sonne plus somptueux que jamais sous la baguette de son directeur musical Philippe Jordan, véritable orfèvre qui étudie, travaille et sublime chaque détail. On notera tout particulièrement les tempi rapides du prologue qui font merveille et le dramatisme époustouflant du II.
Chez les messieurs, on admire la qualité des seconds rôles. Le Spalanzini de Rodolphe Briand est désopilant et très bien projeté. En maître Luther, Paul Gay est peu en voixe mais il se distingue par un excellent Crespel, particulièrement émouvant et pathétique. Les rôles des quatre valets sont sur-distribués en la personne de Yann Beuron, expert s'il en est d'Offenbach. Même ses "Oui, Oui" et ses "Non" du valet Andrès sont brillament exécutés. En Frantz, le ténor français s'avère désopilant et prouve que ce rôle peut être confié à un ténor qui ne soit pas "de caractère". Une seule question demeure : au stade de la carrière de ce chanteur brillant l'Opéra de Paris n'a-t-il pas de rôle plus important à lui proposer ? Et on se prend à le rêver en Hoffmann...
D'autant plus, que Ramon Vargas déçoit un peu en Hoffmann. La gageure était très fort : on ne remplace pas facilement Jonas Kaufmann. On était très bien disposé envers le ténor mexicain qui, en trente ans de carrière, a su garder une voix en pleine santé. Hélas, il ne semble pas ce soir très en forme. Assez pâle et affligé d'une diction peu compréhensible, il ne se hisse pas à la hauteur du reste du plateau.
Roberto Tagliavini est, lui, dans une forme splendide. La voix est pleine et profonde, caverneuse à souhait. Il est fait réellement grande impression en diable omniprésent. La mise en scène le met particulièrement en valeur, lui confiant le rôle de directeur de théâtre désinvolte dans les prologue et épilogue, d'accessoiriste sinistre au I, de chef d'orchestre impitoyable au II et de metteur en scène manipulateur au III. Ecrasant d'autorité et fort d'une voix précise et solide, Roberto Tagliavini est en passe d'avoir une très belle carrière.
Le plateau féminin est nettement plus équilibré, que le plateau masculin. Kate Aldrich est Giulietta, rôle très réduit dans la version Choudens. Cependant, la mezzo arrive à brosser en peu de temps un portrait très convaincant de cette courtisane vénale et sans scrupule.
En Olympia, Nadine Koutcher parvient à faire oublier au spectateur qu'elle n'est pas Sabine Devieihle. Voix saine et bien projetée, elle vient sans peine à bout de l'air "Les oiseaux dans la charmille" et se plie avec bonne grâce et habileté aux nombreux gags que la mise en scène lui offre.
L'acte II est particulièrement bien servi par une mère d'Antonia, Doris Soffel, à la voix opulente et la merveilleuse Ermonela Jaho. La soprano albanaise semble l'incarnation parfaite d'Antonia, frêle et fragile, promenant sa silhouette maladive mais captivante dans une fosse d'orchestre vide. La voix est somptueuse et sublimement conduite, depuis un "Elle a fui la tourterelle" simple et sans maniérisme jusqu'à un trio avec sa mère et Miracle saisissant de vérité et de dramatisme. On ne sait qu'admirer le plus, la rigueur vocale sans concession ou l'implication théâtrale.
Enfin, Stéphanie d'Oustrac est sans pareil en Nicklausse/Muse. Voix chaude, suave et bien menée, elle se démarque tout d'abord par une présence scénique admirable, pleine d'humour et de conviction. Elle conquiert le public avec un "Voyez-la sous son éventail" désopilant et ses imitations d'Olympia tout aussi fraîches et divertissantes. Mais le "Vois sous l'archet frémissant" surtout est sublime et constitue un des sommets de la soirée. Conduit avec un sens du phrasé remarquable, l'air semble n'être qu'une seule longue phrase sans fin et les envolées sur "c'est l'amour vainqueur" sont icomparables.
Alors, dans ces conditions, je dirai que ces Contes d'Hoffmann sont sauvés !
Les Contes d’Hoffmann, opéra fantastique en trois actes, un prologue et un épilogue de Jacques Offenbach sur un livret de Jules Barbier, 1881
Hoffmann : Ramón Vargas
La Muse / Nicklausse : Stéphanie d’Oustrac
Lindorf / Copélius / Miracle / Dapertutto : Roberto Tagliavini
Andrès / Cochenille / Pitichinaccio /Frantz : Yann Beuron
Olympia : Nadine Koutcher
Antonia : Ermonela Jaho
Giulietta : Kate Aldrich
La mère d’Antonia : Doris Soffel
Spalanzini : Rodolphe Briand
Luther / Crespel : Paul Gay
Schlemil : François Lis
Nathanaël : Cyrille Lovighi
Hermann : Laurent Laberdesque
Direction Musicale : Philippe Jordan
Mise en scène : Robert Carsen
Orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris
Opéra Bastille, 12 novembre 2016