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OpéraBlog
19 mars 2018

Une réédition indispensable !

Critique de  l'intégrale Erato/Warner Classics de Benvenuto Cellini      

Suite au succès commercial de l’intégrale des Troyens dirigée par John Nelson parue en novembre, la maison de disque Erato a réédité le Benvenuto Cellini gravé par le même chef en 2003. Sortie une première fois en 2004, cette intégrale se distingue par une tête d’affiche prestigieuse (Kunde, Ciofi, Naouri pour ne citer qu’eux) et par la présence de John Nelson, chef berliozien convaincu et passionné, à la tête de l’Orchestre national de France. On ne peut donc que se réjouir du retour dans les bacs de nos disquaires de ce Benvenuto Cellini.

Ce qui frappe d’emblée à l’écoute de ce CD, c’est d’abord la qualité de la diction française chez tous les chanteurs et jusque dans les plus petits rôles (seule Joyce DiDonato, sur ce point, n’est pas absolument irréprochable). Ainsi, le cabaretier d’Eric Huchet brille par son intelligence du mot qui lui permet d’être absolument tordant dans l’énumération des vins du deuxième tableau. Les autres rôles secondaires tels que ceux de Francesco, Bernardino ou Pompeo sont tous très bien tenus. Renaud Delaigue incarne un pape faible qui prétend en vain avoir de l’autorité sur Cellini. Il possède un timbre homogène sur toute la tessiture même s’il semble parfois peiner dans le registre le plus grave du rôle. En Fieramosca, Jean-François Lapointe fait montre d’un timbre de baryton lumineux et de beaucoup d’autodérision. Le trio « Demain soir à mardi gras » doit beaucoup à l’humour avec lequel il distille chacune de ses répliques. Dans le rôle de travesti d’Ascanio, Joyce DiDonato déploie son mezzo chaleureux et rayonnant. Pourrait-on imaginer meilleur élève de Cellini que ce jeune garçon au timbre charmeur, moelleux et lumineux ? Ses aigus triomphants et sa ligne de chant particulièrement élégante font de l’air « Cette somme t’es due » une des plus belles pages du disque. Au deuxième acte, elle assume crânement « Tra la la la… Mais qu’ai-je donc ? », imitant le pape avec des graves poitrinés et profonds. Laurent Naouri ne fait qu’une bouchée du rôle de Balducci. Avec une très grande intelligence du texte, il transforme le trésorier fier et colérique en personnage ridicule. Jouant d’un timbre chaud, profond, immédiatement séduisant, il chante un truculent « Ne regardez jamais la lune » et fait merveille dans les ensembles. Patrizia Ciofi est une Teresa à la voix frêle mais au timbre exquisément fruité. « Ah ! que l’amour une fois dans le cœur » lui permet de faire valoir son art de la cantilène et ses aigus cristallins. Au rôle-titre, Gregory Kunde offre la beauté de son timbre doux et corsé, des aigus de tête suaves (notamment dans « Ah ! le ciel, cher époux ») et une diction parfaite. On pourrait à la rigueur réclamer un peu de folie supérieure dans la scène de la taverne ou dans celle de la fonte de la statue mais l’artiste est si touchant dans les pages plus élégiaques…

En somme, cette réédition nous a comblé, dautant plus que les intégrales de Benvenuto Cellini ne sont pas monnaie courante. A se procurer absolument !

Benvenuto Cellini, Erato, 2018

Benvenuto Cellini, opéra en deux actes et quatre tableaux d’Hector Berlioz sur un livret d’Auguste Barbier et de Léon de Wailly, 1838

Benvenuto Cellini : Gregory Kunde

Teresa : Patrizia Ciofi

Giacomo Balducci : Laurent Naouri

Ascanio : Joyce DiDonato

Fieramosca : Jean-François Lapointe

Le pape Clément VII : Renaud Delaigue

Francesco : Eric Salha

Bernardino : Marc Mauillon

Le cabaretier : Eric huchet

Pompeo : Ronan Nédélec

 

Direction musicale : John Nelson

Orchetre national de France et Chœur de Radio France

Une intégrale Erato/Warner Classics enregistrée du 8 au 13 décembre 2003 dans la Salle Olivier Messiaen de la Maison de Radio France

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5 mars 2018

Entrée discographique foudroyante !

Critique d'ANITA

Depuis ses débuts retentissants à la Scala dans le rôle-titre de Carmen face à Jonas Kaufmann en 2009, Anita Rachvelishvili s'est imposée comme une mezzo-soprano incontournable dans le monde lyrique. A cette ascension fulgurante, il ne manquait plus qu'un contrat chez une grande maison de disques. C'est chose faite puisque la mezzo géorgienne fait ses débuts chez Sony Classical avec un récital d'airs d'opéra.

Ce qui frappe de premier abord dans ce CD, c'est, comme toujours quand on entend Anita Rachevlishvili, l'opulence de ce timbre chaud et voluptueux ainsi que la beauté d'un médium mordoré et profond. La plupart des airs choisis par la chanteuse sont des tubes du repértoire de mezzo. "Voi lo sapete o mamma" extrait de Cavalleria Rusticanna montre une Santuzza juvénile, sensible, très prometteuse pour ses débuts à l'Opéra de Rome en avril. Le répertoire verdien est très présent sur le disque avec les deux airs d'Eboli et celui d'Azucena. "O don fatale" permet à Anita Rachevlishvili de laisser libre court à un dramatisme impressionnant. Cependant, l'aigu final n'est pas aussi triomphant qu'on l'aurait attendu. Au contraire, "Condotta ell'era in cepi" nous a pleinement convaincu. A mille lieux des Azucena matronnes et hystériques, Anita Rachevlishvili dessine un personnage tout en nuances. Les premières phrases, piano et colorées d'un feu sombre, sont tout aussi époustouflantes que les dernières exclamations "Il figlio mio avea bruciato", laissant enfin s'épanouir toute l'ampleur de sa voix. 

Dans les extraits d'opéra français, Anita Rachevlishvili est souveraine même si la diction (tout comme la diction italienne, d'ailleurs) pourrait être plus précise. Charlotte frémissante et introvertie, elle est une Dalila susurrant "Printemps qui commence" et distillant "Mon coeur s'ouvre à ta voix" comme du poison. Quel art de la nuance ! Mais c'est dans Carmen qu'Anita Rachvelishvili s'avère la plus belle. Graves sombres, inflexions vénéneuses et séductrices, cette Carmen est absolument irrésistible.

A la tête de l'orchestre de la RAI, Giacomo Sagripanti confère à chaque page un climat dramatique et des couleurs propres, offrant un parfait écrin au talent de la soliste. Le choeur, malheureusement, a une diction française très approximative dans la "Habanera" et on aurait souhaité un ténor aux côtés de la chanteuse dans Il Trovatore et Samson et Dalila.

Après ce premier récital vocalement magique mais au programme assez convenu, nous espérons qu'Anita Rachvelishvili nous offrira des disques de la même qualité musicale mais plus audacieux dans le choix des titres.

Anita Rachvelishvili Sony Classical 2018

 

ANITA

Anita Rachvelishvili, mezzo-soprano

Orchestra sinfonica nazionale della RAI

Direction musicale : Giacomo Sagripanti

 

1.      « Près des remparts de Séville» - Carmen - Georges Bizet

2.      « Printemps qui commence » - Samson et Dalila - Camille Saint-Saëns

3.      «  Condotta ell'era in cepi »Il Trovatore - Giuseppe Verdi

4.      « Nei giardin del bello » - Il Trovatore - Giuseppe Verdi

5.      « Werther... Je vous écris de ma petite chambre » - Werther - Jules Massenet

6.      « Misi sakheli Tinatin » - The Legend of Shota Rustaveli - Dimitri Arakishvili

7.      « Mon coeur s'ouvre à ta voix » - Samson et Dalila - Camille Saint-Saëns

8.      « Lyubasha's song » - The Tsar's Bride - Nikolai Rimsky-Korsakov

9.      « L'amour est un oiseau rebelle» - Carmen - Georges Bizet

10.    « Voi lo sapete o mamma » - Cavalleria Rusticana - Pietro Mascagni

11.   « Où suis-je ?... Ô ma lyre immortelle » - Sapho - Charles Gounod

12.   « Ah più non vedrò... O don fatale  » - Don Carlo - Giuseppe Verdi

CD Sony Classical 2018

26 février 2018

Un chef, une soprano, un ténor

Critique de La Traviata à l'Opéra National de Paris

Créée en 2014 sous le mandat de Nicolas Joël, la production de La Traviata par Benoît Jacquot a vu se succéder de nombreux interprètes au fil des reprises. Lors de la création, Diana Damrau et Ludovic Tézier chantaient les rôles principaux. Par la suite, Ermonela Jaho, Sonya Yoncheva, Maria Agresta ont incarné Violetta, Dmitri Hvorostovsky et Placido Domingo Germont père, Francesco Meli et Bryan Hymel Germont fils. Pour trois représentations en ce mois de février Anna Netrebko, Placido Domingo et Charles Castronovo devaient à leur tour se glisser dans la production de Jacquot. 

Celle-ci n'a guère changé depuis sa création. Le lit de Violetta, un immense arbre et un escalier imposant continuent à servir de décors à l'intrigue. Les costumes sont très beaux, notamment celui de Flora et ceux de Violetta. Cet luxueux écrin s'avère malheureusement vide. Benoît Jacquot laisse les chanteurs livrés à eux-mêmes sur le plateau. Le parti pris revendiqué dans la note d'intention de construire des éléments de décors démesurés par rapport aux chanteurs ne nous convainc guère. Les personnages ne semblent pas écrasés par les décors (le plateau est trop nu) mais plutôt ridiculement petits. Quant au traitement de la masse chorale, il devient rapidement exaspérant d'observer les va-et-vient en lignes parfaites de ces silhouettes en noir. Quant au blackface imposé à Isabelle Duret (Annina) pour rappeler la domestique d'Olympia de Manet, il nous semble à l'extrême limite de l'acceptable.

Damrau Demuro La Traviata, Paris, 2014

Heureusement, la musique de Verdi est amplement capable de faire naître l'émotion, même dans une production aussi froide. Virginie Verrez et Julien Dran sont des comprimari de grand luxe. Viriginie Verrez est une Flora sonore au timbre charnu, Julien Dran un Gastone de haute tenue. Mieux vaut ne pas s'attarder sur le Giorgio Germont de Placido Domingo. Annoncé souffrant en début de soirée, l'ex-ténor manque de souffle et provoque plusieurs décalages avec l'orchestre.

Ce qu'on retiendra surtout de cette soirée, c'est le couple particulièrement crédible et touchant formé par Marina Rebeka et Charles Castronovo. Le ténor américain fait montre d'un chant élégant et nuancé à l'extrême. Aigus lumineux et souples, graves moelleux, présence scénique convaincante, cet Alfredo a tout pour séduire. Enfin, son timbre lumineux mais charnu se marie à la perfection avec celui, fruité et chaud, de Marina Rebeka. La soprano lettone, remplaçant Anna Netrebko, est une Violetta idéale. Dotée d'une voix ravissante aux aigus perlés et au médium lumineux, elle déjoue toutes les embûches du rôle. Les vocalises de l'acte I ne sont qu'un jeu d'enfant pour cette belcantiste accomplie (elle ne tente pas le contre-mi bémol à la fin de "Sempre libera" mais est-il vraiment indispensable ?) et le dramatisme des dernières pages ne la met jamais en difficulté. Le personnage qu'elle dessine est touchant quoique très retenu. L'affrontement avec Germont père ou le final chez Flora la mettent particulièrement à son avantage. Dans l'acte III, Charles Castronovo et elle atteignent des sommets d'émotions avec un "Parigi, o cara" sussuré et tendre suivi d'un final déchirant.

Rebeka La Traviata, Bastille, 2018

Dan Ettinger délivre une lecture de La Traviata particulièrement intéressante. Les préludes de l'acte I et III sont éthérés et envoûtants, les musiques de fête rutilantes à souhait. Portant le drame avec passion, le chef israélien n'hésite cependant pas à faire ressortir ici ou là un instrument que d'autres versions auraient tendance à laisser se fondre dans la masse orchestrale. Les Choeurs de l'Opéra national de Paris tirent leur épingle du jeu avec brio.

Une soirée musicalement sublime grâce à un chef et aux chanteurs principaux.

Castronovo Rebeka, La Traviata, Wien, 2016

La Traviata, opéra en trois actes de Giuseppe Verdi sur un livret de Francesco Maria Piave, 1853

Violetta Valéry : Marina Rebeka

Alfredo Germont : Charles Castronovo

Giorgio Germont : Placido Domingo

Flora Bervoix : Virginie Verrez

Annina : Isabelle Druet

Gastone : Julien Dran

Il Barone Douphol : Philippe Rouillon

Il Marchese d'Obigny : Tiago Matos

Dottore Grenvil : Tomislav Lavoie

Giuseppe : John Bernard

Domestico : Christian-Rodrigue Moungoungou

Commissiaonario : Pierpaolo Palloni

 

 

Direction Musicale : Dan Ettinger

Mise en scène : Benoît Jacquot

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris

Opéra Bastille, le 25 février 2018

13 février 2018

Une féerie potagère ressuscitée !

Créé en 1872, Le Roi Carotte de Jacques Offenbach a connu des débuts retentissants. Il faut dire qu'avec ses six heures de musique, ses quarante personnages, sa reconstitution de Pompéi et ses scènes de foule, cet opéra féérie est un véritable blockbuster lyrique ! C'est justement ce gigantisme qui a rapidemment fait disparaître Le Roi Carotte des scènes : trop coûteux. Ce n'est qu'en décembre 2015 que l'oeuvre est revenue à la vie sur la scène de l'Opéra de Lyon dans une version revisitée et allégée par Laurent Pelly et son équipe. Reprise à l'Opéra de Lille, cette production joyeuse ne cesse d'emporter l'adhésion.

On connaît les affinités de Laurent Pelly avec le genre comique et, en particulier avec Offenbach. On se souvient de sa Belle Hélène et de sa Grande-Duchesse de Gérolstein au Châtelet, toutes deux crées autour de la très raffinée Felicity Lott. Son Orphée aux enfers lyonnais avec une Natalie Dessay pétillante et un Laurent Naouri truculent n'avait pas moins marqué les esprits. On ne change pas une recette qui marche et c'est donc entouré de Chantal Thomas et d'Agathe Mélinand que Laurent Pelly s'est attelé à la difficle tâche de faire renaître Le Roi Carotte. Agathe Mélinand a, comme à son habitude, réécrit et modernisés les dialogues parlés avec humour et efficacité. Les décors de Chantal Thomas sont plein de surprises (un potager d'où sortent le Roi Carotte et sa cour, un immense grimoire, un panier à salade en guise de geôle !) et visuellement très agréables. Dans ce parfait terrain de jeu, Laurent Pelly crée un spectacle gai, coloré et jamais ennuyeux. On ne pourrait ici énumérer tous les moments réussis de la production tant ils sont nombreux mais signalons tout de même le bal au palais, l'"éruption" très métaphorique du Vésuve, le défilé des insectes et la barricade de cageots.

Le Roi Carotte, Lille, 2018

 Le plateau se prête de bonne grâce à toutes les danses et à tous les gags qu'on lui propose. La Sorcière Coloquinte de Lydie Pruvot est désopilante et ridicule à souhait. Boris Grappe a parfois une étrange diction mais passe très bien la rampe et possède une belle voix de basse. Quel dommage que le très bon Christophe Gay soit réduit à jouer les utiliés dans le rôle de Truck ! Pas même une intervention solo chantée ! Albane Carrère est une Cunégonde très à l'aise en scène mais à la projection un peu limitée. Le Robin Luron d'Héloïse Mas est insolent et farceur à souhait. Un peu serrée dans l'aigu, la jeune mezzo balaie cependant toute réserve grâce à son abattage scénique. Le Roi Carotte de Christophe Mortagne est absolument désolipant. Quel aplomb dans son costume de légume et quelle voix volontairement ridicule sous son panache ! Dans le rôle assez réduit de Rosée du Soir, Chloé Briot fait très forte impression. Avec un très joli timbre de soprano fruité, une présence scénique très agréable et un chant généreux, elle fait de son air "Petites fleurs que j'ai vues naître" l'un des plus beaux moments de la soirée. Enfin, Yann Beuron met au service de Fridolin XXIV son timbre lumineux, sa diction précise et un chant élégant et ciselé. De plus, ce grand habitué des productions de Laurent Pelly est un acteur consommé. Son interprétation est particulièrement admirable.
Beuron Le Roi Carotte, Lille, 2018

Les Choeurs de l'Opéra de Lille ont parfois des sonorités un peu acides mais leur investissement scénique est remarquable. Claude Schnitzler prend souvent des tempi trop rapides pour les chanteurs (plusieurs sont essoufflés) et n'évite pas certains décalages (notamment dans la très belle apparition des armures, malheureusement). Mais l'enthousiasme de l'Orchestre de Picardie emporte tout de même la soirée dans de joyeux virevoltements.

En bref, une soirée très gaie, emportée par une mise en scène brillante, des chanteurs très investis et, surtout, une partition enlevée !


Montague Le Roi Carotte, Lille, 2018

 

Le Roi Carotte, opérette féerie en trois actes et onze actes de Jacques Offenbach sur un livret de Victorien Sardou, 1872

Fridolin XXIV : Yann Beuron

Le Roi Carotte : Christophe Mortagne

Robin Luron : Héloïse Mas

Cunégonde : Albane Carrère

Rosée du Soir : Chloé Briot

Truck : Christophe Gay

Pipertrunck : Boris Grappe

Coloquinte : Lydie Pruvot

 

Direction musicale : Claude Schnitzler

Mise en scène : Laurent Pelly

Orchestre de Picardie et Choeurs de l'Opéra de Lille

Opéra de Lille, le 11 février 2018

10 février 2018

Un élixir pétillant !

La production de L'Elisir d'amore de Bartlett Sher créée pour Anna Netrebko en 2012 fait les beaux jours du Metropolitan Opera où elle a été reprise plusieurs fois, notamment avec Vittorio Grigolo, Ramon Vargas, Nicola Alaimo, Erwin Schrott, Aleksandra Kurzak. Cette année, c'est la jeune sud-africaine Pretty Yende qui endosse la jupe rouge et le haut-de-forme d'Adina, entourée de Matthew Polenzani et d'Ildbrando d'Arcangelo.

Bartlett Sher est un metteur en scène très apprécié du public du Met pour lequel il a réalisé un Comte Ory très coloré, un Barbiere di Siviglia inusable et des Contes d'Hoffmann déjantés. Sa production de L'Elisir d'amore rassemble les mêmes atouts : une vision de l'oeuvre proche du livret, de beaux costumes, de nombreux gags et une direction d'acteurs au cordeau. Sur le plateau, les solistes dansent, les choristes se trémoussent en musique. Dans la salle, on ne s'ennuie pas. Mais le metteur en scène sait aussi laisser place à l'émotion et au dépouillement quand il le faut. Ainsi, les chanteurs sont-ils apaisés dans "Una furtiva lagrima" et "Prendi, per me sei libero", moments pleins de sentiment et de simplicité.

Le plaisir est aussi en rendez-vous au niveau de la distribution. D'après les critiques qui l'ont vue en salle, la Giannetta d'Ashley Emerson n'était pas très audible. Les micros de la transmission au cinéma viennent corriger ce défaut et permettent d'apprécier une jolie voix de soprano un peu acidulée. Davide Luciano, jeune baryton italien, fait ses débuts au Metropolitan Opera dans le rôle de Belcore et délivre une prestation impeccable. La voix est jeune et brillante, la vocalise sûre et audacieuse, la présence scénique idéale. L'autre Italien de la distribution, c'est Ildebrando d'Arcangelo dont on ne présente plus le Dulcamara. Eclatant de santé vocale, jouant d'un timbre cuivré et d'une maîtrise du chant syllabique assez incroyable, la basse est de plus un comédien consommé. Véritable cabotin, il emporte l'adhésion d'une salle rendue hilare par ses grimaces, ses gesticulations et ses pas de danse.

D'Arcangelo Yende L'Elisir d'amore, Met, 2018

Pretty Yende joue les bourreaux des coeurs avec malice. Son Adina respire le bonheur et la coquetterie. D'une voix ronde et chaude, la soprano sud-américaine montante dessine une ligne de chant très pure. Ses suraigus sont précis et colorés, ses vocalises inventives mais très respectueuses du style. Enfin, Matthew Polenzani reprend avec bonheur l'un de ses rôles fétiches. Le timbre est, certes, un peu nasal, mais le chant si élégant qu'on oublie rapidement ce petit désavantage. L'aigu de ce Nemorino est généreux, sa ligne impertubable. Son interprétation du celébrissime "Una furtiva lagrima" lui vaut une ovation bien méritée. En effet, quelle conduite du souffle, quelle émotion dans chaque mot ! Quant au personnage, il est émouvant mais très drôle.

Luciano Yende L'Elisir d'amore, Met, 2018

Le chef vénézuélien Domingo Hindoyan fait ses débuts à la tête de l'Orchestre du Metropolitan Opera. C'est d'une baguette enlevée mais sans précipitation que le jeune chef dirige cet Elisir d'Amore. Sans jamais verser dans la vulgarité, il insuffle une vitalité et une agitation indispensable à la soirée.

On sort de cette joyeuse représentation le sourire aux lèvres et le coeur plus léger. Sans doute les effets de l'élixir !

Polenzani, L'Elisir d'amore, Met, 2018

L'Elisir d'amore, melodramma giocoso en deux actes de Gaetano Donizetti sur un livret de Felice Romani, 1832

Adina : Pretty Yende

Nemorino : Matthew Polenzani

Il Dottore Dulcamara : Ildebrando d'Arcangelo

Belcore : Davide Luciano

Giannetta : Ashley Emerson

 

Direction musicale : Domingo Hindoyan

Mise en scène : Bartlett Sher

Orchestre et chœurs du Metropolitan Opera

En direct du Metropolitan Opera, le 10 février 2018

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9 février 2018

Ludovic Tézier, sublime Rigoletto

 C'est en plein air, dans le cadre magique du parc de l'Hôtel de Ville de Hannovre, qu'a eu lieu cette représentation de Rigoletto. Présenté dans une version de concert mais avec une mise en espace très poussée, ce Rigoletto est joué dans des costumes et des décors contemporains. Il ya de beaux moments de théâtre, notamment le duo entre Gilda et Rigoletto au II ou l'assassinat de Gilda au III. Certains passages sont moins heureux. On pense en particulier à l'enlèvement de Gilda ou à l'apparition de Monterone au II, tous deux désamorcés par la sortie des personnages parmi les spectateurs.

Au milieu de comprimari assez sommaires, la Maddalena de Varduhi Abrahamyan détonne. Voix ambrée et profonde, chant sensuel, la mezzo arménienne est très en phase avec son rôle. Stephen Costello joue d'un physique avantageux et d'un médium moelleux pour camper un beau Duc de Mantoue. Même si on aurait pu souhaiter lui trouver plus d'aisance dans l'aigu, on ne peut qu'apprécier la noirceur de cette incarnation. On ne présente plus la Gilda de Nadine Sierra. A 29 ans, la soprano américaine a chanté ce qui est devenu son rôle fétiche sur toutes les grandes scènes lyriques (Scala, Met, Paris...). On retrouve avec plaisir une voix fraîche et juvénile en parfaite symbiose avec le rôle, des aigus faciles et lumineux. De plus, son médium s'enrichit de plus en plus, ses graves sont devenus sombres et émouvants ce qui lui permet d'être parfaite dans le final. Scéniquement, la jeune soprano a un physique parfait pour Gilda et en brosse un portrait de jeune fille fragile mais frémissante d'amour. A ses côtés, Ludovic Tézier incarne magistralement Rigoletto. Sa voix de baryton verdien lumineuse et chaude fait merveille dans ce rôle. On y trouve à la fois les accents autoritaires et brutaux indispensables à la première scène chez le Duc et toute la douceur nécessaire à ses scènes avec Gilda. Son interprétation de "Cortigiani, vil razza dannata" est une des plus belles qu'il nous ait été donné d'entendre. Les premiers accents de colère sont chantés avec une vaillance sans faille. Mais que dire ensuite de cette prière, si humble et si pathétique  ("Miei signori, pietà") ? La conduite du souffle interminable, le fruité du timbre, l'émotion, tout y est. Et que ce soit dans l'invective ou dans la supplication, quelle intelligence du texte ! Pas un mot qui ne soit pas chargé de sens, pas une syllabe qui ne soit éclairée d'une couleur nouvelle. C'est l'art de chanter Verdi à son apogée. La représentation se finit sur un "Ah la maledizione !" bouleversant, à l'image de toute la représentation.

La magistrale interprétation de Rigoletto par Ludovic Tézier est à revoir sur le site de la Norddeutsche Rundkunft.

Sierra Tézier Rigoletto, Hannover, 2017

 

Rigoletto,melodramma en trois en actes de Giuseppe Verdi sur un livret de Francesco Maria Piave, 1851

Rigoletto : Ludovic Tézier

Gilda : Nadine Sierra

Il Duca di Mantova : Stephen Costello

Sparafucile : Franz Hawlata

Maddalena : Varduhi Abrahamyan

Il Conte di Monterone : Martin-Jan Nijhof

Marullo : Matthias Winckhler

Giovanna : Yajie Zhang

Matteo Borsa : Gevorg Aperants

Il Conte di Ceprano : Daniel Eggert

La Contessa di Ceprano : Ania Vegry

Paggio della Duchessa : Marlene Gassner

Usciere di Corte : Jong Soo Ko

 

Direction musicale : Kery-Linn Wilson

NDR Radiophilarmonie et Festivalchor Hannover

Maschpark, Neues Rathaus, Hannover, 22 juillet 2017

 

4 février 2018

Le goût du risque

Critique de The Verdi Album

Si l'on devait brosser un portrait de Sonya Yoncheva, on insisterait sans aucun doute sur sa curiosité et sa témérité. Rares sont celles qui, à 36 ans, peuvent se vanter d'avoir un répertoire allant de Poppea (L'Incoronazione di Poppea, Monteverdi) à Tosca de Puccini. Aux rôles typiques d'une jeune soprano lyrique (Mimi de La Bohème, Antonia des Contes d'Hoffmann, Gilda de Rigoletto), Sonya Yoncheva ajoute à une rapidité déconcertante des rôles de plus en plus dramatiques : Desdemona d'OtelloNorma, Elisabeth de Don Carlos... Le présent récital verdien, paru chez Sony Classical ce 2 février, est un reflet assez fidèle de l'insatiabilité de l'artiste bulgare. Plus de traces de ses rôles lyriques passés, nous sommes ici dans la chasse gardée des sopranos dramatiques.

Deux plages, disons le d'emblée, ne nous ont pas convaincue. L'air d'Odabella extrait d'Atilla met Sonya Yoncheva en difficulté dans l'aigu. Quant au redoutable air d'Abigaille, extrait de Nabucco, il est à double tranchant. "Anch'io dischiuso un girono" est chanté avec beaucoup de finesse, de douceur et avec un très beau phrasé. La strette, par contre, ne met pas la jeune chanteuse à son avantage. Elle exprime avec peine l'accès de fureur du personnage et coupe la reprise de la cabalette. Peut-être aurait-il mieux fallu ne pas la chanter du tout ou, du moins, ne pas terminer le récital sur elle ?

Le reste du récital, cependant, offre de belles réussites. Ainsi, "Tu puniscimi, o Signore" est un très beau moment de théâtre où l'indignation du personnage est exprimée par des graves poitrinés du plus bel effet et des aigus incisifs. Dans la strette du Trovatore, "Di tale amor che dirsi", les trilles et les aigus sont perlés et élégants. L'air de Leonora dans La Forza del Destino est une prière douloureuse et très émouvante, couronnée par une "Maledizione" pleine d'effroi. Le plus bel air de l'album reste sans doute l'"Ave Maria" extrait d'Otello où Sonya Yoncheva fait montre d'un médium moelleux qu'elle met au service d'un chant éthéré et gracieux.

Un beau récital en somme, avec de très beaux moments mais, malheureusement, quelques airs qui auraient gagnés à être abordés avec plus de maturité.

The Verdi Album Sonya Yoncheva Sony Classical 2018

The Verdi Album

Sonya Yoncheva, soprano

Münchner Rundkunftorchester

Direction musicale : Massimo Zanetti

 

1.      « Tacea la notte placia... Di tale amor che dirsi» - Il Trovatore

2.      « Tu puniscimi, o Signore » - Luisa Miller

3.      «  Liberamente or piangi... Oh! Nel fuggente nuvolo» - Attila

4.      « Tosto ei disse!... A te ascenda, o Dio clemente» - Stiffelio

5.      « Pace! Pace, mio Dio! » - La Forza del Destino

6.      « Ave Maria, piena di grazia » - Otello

7.      « Come in quest'ora bruna» - Simon Boccanegra

8.      « Tu che le vanità... Francia, nobil suol» - Don Carlo

9.      « Anch'io dischiuso un giorno... Salgo già del trono aurato» - Nabucco

CD Sony Classical 2018

28 janvier 2018

Mai Sonya alla scena più tragica fu !

C'est avec une distribution totalement différente de celle annoncée intialement que cette Tosca a été diffusée au cinéma, clôturant ainsi la première vague de représentations (une seconde aura lieu en avril avec Anna Netrebko dans le rôle-titre). Vittorio Grigolo chantait Cavaradossi à la place de Jonas Kaufmann, Sonya Yoncheva Tosca à celle de Kristine Opolais et Željko Lučić Scarpia à celle de Bryn Terfel. Quant au chef français Emmanuel Villaume, il remplaçait James Levine, évincé de la production car récemment accusé d'abus sexuels. Seul "rescapé" de la brochure de saison, Sir David McVicar propose une vision de l'oeuvre très fidèle au livret, plus susceptible de plaire aux goûts du public new-yorkais que la décriée production de Luc Bondy. Les décors sont très imposants, reproductions très appliquées des lieux romains réels de l'action. La salle semble apprécier cette vision conservatrice, allant même jusqu'à applaudir le salon de Scarpia au Palais Farnèse. Les costumes sont également somptueux, notamment les trois robes portées à merveille par Sonya Yoncheva. La direction d'acteurs reste traditionnelle et certains gestes semblent émaner tout droit d'une mise en scène de Visconti (Tosca posant des flambeaux à côté du cadavre de Scarpia, par exemple).

 

Grigolo Yoncheva, Tosca, Met, 2018

Dans cet écrin, les trois chanteurs principaux peuvent laisser libre cours à un chant passionné. Željko Lučić est un Scarpia qui murmure plus souvent qu'il ne crie mais pourquoi pas ? Le personnage n'en paraît que plus abject. Sa confrontation de l'acte II avec Tosca est particulièrement convaincante, dans le jeu comme dans le chant, tantôt violent, tantôt insinuateur et incisif. On regrettera simplement un certain excès de vérisme pendant son assassinat. Est-il vraiment besoin de faire entendre les râles du chef de la police quand la soprano et l'orchestre expriment déjà toute l'horreur de la situation ?Lucic Yoncheva, Tosca, Met, 2018Nous avouons avoir craint que le rôle de Cavaradossi ne soit trop lourd pour le ténor lyrique qu'est Vittorio Grigolo. Toutes nos craintes ont été rapidement balayées par un "Recondita armonia" solaire, passionné et généreux. L'artiste italien éblouit par son aisance scénique, son "italianità" (si bénéfique au rôle) et ses aigus percutants. On a rarement entendu chanter le redoutable "Vittoria" du II avec autant d'aplomb et de facilité. Enfin, le chanteur émeut dans "E lucevan le stelle", véritable ode à la vie et aux plaisirs des sens. Grigolo Yoncheva Tosca, Met, 2018Sonya Yoncheva, en prise de rôle, chante Tosca comme si elle l'avait chantée toute sa vie. Mieux, il semblerait que le rôle ait été écrit pour elle. La fraîcheur et la plénitude de sa voix de soprano lyrique expriment à merveille la jeunesse du personnage, le moelleux de son timbre sa soif d'amour et de sensualité. Ses aigus rayonnants sont tour à tour les poignards de la jalousie et les cris de douleur, son grave capiteux l'expression d'une terreur indicible. De bout en bout, la soprano bulgare est un personnage de chair et de sang : amante passionnée et à la fois profondément innocente dans son premier duo avec Cavaradossi, femme déchirée et justicière impitoyable face à Scarpia dans l'acte II, héroïne brisée dans le III. Pour couronner le tout, Grigolo et elle forment un très beau couple sur scène. Que pourrait-on demander de plus à une Tosca ?Lucic Yoncheva Tosca, Met, 2018Dans la fosse, l'orchestre du Metropolitan Opera étire un tapis de son sous les voix. Toute la passion et la violence du drame sont là, sous la baguette d'Emmanuel Villaume.

A voir à tout prix !

Tosca, opéra en trois actes de Giacomo Puccini sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, 1900

Floria Tosca : Sonya Yoncheva

Mario Cavaradossi : Vittorio Grigolo

 Il barone Scarpia : Željko Lučić  

Il sagrestano : Patrick Carfizzi

 

Direction musicale : Emmanuel Villaume

Mise en scène : David McVicar

Orchestre et chœurs du Metropolitan Opera

En direct du Metropolitan Opera, le 27 janvier 2018

29 décembre 2017

Au mois d'avril 2017, à Strasbourg, John Nelson,

Au mois d'avril 2017, à Strasbourg, John Nelson, chef passionné de Berlioz, a dirigé une version de concert ambitieuse des Troyens. Autour de la très admirée mezzo américaine Joyce DiDonato et du très en vogue Michael Spyres était réunie une distribution très ambitieuse, harmonieusement constituée de chanteurs français très prometteurs ou déjà confirmés et de quelques artistes moins idiomatiques mais tout aussi brillants. Warner Classics a enregistré cette soirée et deux jours de "patch" pour en faire une intégrale comme on en fait rarement aujourd'hui.

Les petits rôles, ceux qui se résument à quelques interventions, sont globalement très bien chantés. Dans les rôles des deux sentinelles, Jérôme Varnier et Frédéric Caton croquent deux beaux et drôles portraits de gens simples et un peu triviaux. L'Ombre d'Hector de Jean Teitgen est captivante, comme il se doit. Sa voix belle et profonde confère au personnage un magnétisme et un mystère tout à fait à propos. Stanislas de Barbeyrac, ténor français appelé à une très belle carrière, est un Hylas de très grand luxe. Très à l'aise dans l'aigu, il possède de plus un grave moelleux qui traduit à merveille la mélancolie du personnage. Cyrille Dubois possède quant à lui toute la légèreté et la poésie indispensable au musicien de la cour de Didon. Philippe Sly est un très beau Panthée, à la voix idéalement cuivrée et au chant vaillant. L'Ascagne de très haut vol de Marianne Crebassa évoque irrésistiblement la jeune Stéphanie d'Oustrac dans la production du Châtelet de 2003. Le timbre chatoyant et juvénile, l'aigu aussi gracieux que facile, l'intelligence du mot leur sont communs.

Courjal DiDonato Dubois Hipp Spyres, Strasbourg, 2017

Le Chorèbe de Stéphane Degout domine sans peine les deux actes de la chute de Troie. Il éblouit dans le duo avec Cassandre par la délicatesse et la conduite de son phrasé, la flamboyance de ses aigus et la chaleur de son médium. A l'acte II, il fait montre d'une vaillance sans faille dans le choeur "Aux armes, grand Enée !". Quel dommage, ne peut-on s'empêcher de penser, que Berlioz n'est pas écrit plus de musique pour ce rôle !

Face à lui, la Cassandre de Marie-Nicole Lemieux s'avère quelque peu décevante. La tessiture de la princesse troyenne, initialement prévue pour une mezzo à l'aigu facile ou pour une soprano aux graves généreux, paraît tendue pour la contralto canadienne. De plus, le magnétisme qu'elle sait insuffler dans la salle transparaît difficilement au disque.

La cour de Didon est dominée par les voix graves d'Hanna Hipp et de Nicolas Courjal. La première incarne une Anna sensible et touchante. Un grave joliment profond et des aigus colorés lui permettent de ne pas rougir dans son duo avec Joyce DiDonato. Nicolas Courjal est majestueux en Narbal. Voix de bronze et rocailleuse à l'extrémité grave de la tessiture, il sait aussi faire trembler quand il annonce l'invasion de Carthage par les Africains ou quand il maudit Enée et les Troyens.

Michael Spyres est un Enée plus que convaincant. Son timbre clair mais chaud exprime parfaitement la séduction du héros troyen, sa vaillance et ses aigus faciles éblouissent dans les pages les plus héroïques (premier tableau de l'acte II, final de l'acte III). Le ténor américain emporte haut la main le défi que représente le ô combien périlleux air d'entrée d'Enée "Du peuple et des soldats". 

Crebassa Hipp Sly Spyres, Strasbourg, 2017

La reine de la soirée, cependant, est Joyce DiDonato, Didon aussi noble qu'émouvante. Tout d'abord éblouissante de maîtrise technique, elle fait montre d'une homogénéité sans faille sur toute la tessiture, d'aigus aussi rayonnants que son médium est moelleux. Et quelle incarnation ! Ne se départissant jamais d'un port altier et royal, la mezzo américaine n'a jamais été aussi touchante qu'en reine de Carthage. Les accès de fureur ("Errante sur tes pas", "En mer, voyez six vaissaux", "Mon souvenir vivra") sont tout aussi émouvants que les émois amoureux ("Sa voix fait naître dans mon sein"). Le duo "Nuit d'ivresse" est chanté du bout des lèvres avec une tendre poésie. Et que dire de son "Adieu fière cité" mélancolique et noble ou de son entrée, "Chers Tyriens", où Joyce DiDonato exprime si bien l'amour de Didon pour son peuple ? Cette éblouissante prise de rôle est arrivée à point nommé dans la carrière de l'immense belcantiste.

L'artisan de cet enregistrement, John Nelson, tire des merveilles de l'Orchestre philarmonique de Strasbourg. Rutilant dans les passages les plus pompiers, chatoyant dans les pages les plus intimistes, l'orchestre est magnifique de contrastes et de créations d'atmosphères. Les Choeurs pourraient avoir une diction plus claire mais on leur pardonne ce défaut tant le son des voix est somptueux.

On ne peut qu'apprécier cette version de très haut niveau de nos jours, quand les intégrales d'opéra se font si rares.Degout DiDonato Spyres, Strasbourg, 2017

Les Troyens, Hector Berlioz, 1863

Didon : Joyce DiDonato

Enée : Michael Spyres

Cassandre : Marie-Nicole Lemieux

Chorèbe : Stéphane Degout

Narbal : Nicolas Courjal

Ascagne : Marianne Crebassa

Anna : Hanna Hipp

Iopas : Cyrille Dubois

Panthée: Philippe Sly

Hélénus/Hylas : Stanislas de Barbeyrac

Ombre d'Hector/Mercure : Jean Teitgen

Priam : Bertrand Grunenwal

Hécube : Agnieszka Slawinska

Chef grec : Richard Rittelmann

Première sentinelle : Jérôme Varnier

Deuxième sentinelle : Frédéric Caton

 

Direction musciale : John Nelson

Orchestre et choeur philarmoniques de Starsbourg, Choeurs de l'ONR et Badischer Staatsopernchor

Un CD Erato/Warner classics enregistré les 15, 17 et 18 avril 2017 dans la salle Erasme à Strasbourg

23 octobre 2017

Don Carlos au firmament

En 1867 était créé, à l'Opéra de Paris, Don Carlos, vingt-sixième opéra de Giuseppe Verdi. Jugée trop longue, donc coupée puis entièrement remaniée pour une version italienne en quatre actes seulement, la version française de cet opéra est longtemps restée  dans l'ombre de la version milanaise. Suite à l'initiative de Stéphane Lissner, l'Opéra national de Paris a remonté cette année une version intégrale de Don Carlos, en français, avec tous les morceaux coupés avant et après la première parisienne, mais sans le ballet. A cette occasion, une distribution d'exception a été réunie sous la baguette du directeur musical de la maison, Philippe Jordan : Jonas Kaufmann, Ludovic Tézier, Elīna Garanča, Sonya Yoncheva, Ildar Abdrazakov. La mise en scène a été confiée au Polonais Krzysztov Warlikowski.

L'action, transposée dans les années 50, se déroule dans des espaces tantôt immenses tantôt confinés, toujours écrasants et étouffants. Tout commence à Saint-Just où Don Carlos se remet d'une tentative de suicide. Dans son esprit torturé, il revoit sa rencontre avec Elisabeth à Fontainebleau. Cette scène de bonheur fugitif est particulièrement réussie. Le coup de foudre immédiat entre les deux personnages, peu crédible d'ordinaire, est ici magnifié par le souvenir de l'infant. L'acte II est un retour au présent, à Saint-Just où l'esprit malade de Don Carlos croit apercevoir le spectre de Charles Quint. Saint-Just est ici représenté par l'immensité du plateau de Bastille, entièrement parqueté. A jardin, une table sur laquelle est posée une croix et une buste de Charles Quint, à cour un lit de camp bleu roi qui ne quittera pas la scène. L'acte II se poursuit non pas dans les jardins du cloître mais dans une salle d'escrime. Si habiller les choristes femmes en tenue d'escrime est assez peu esthétique, organiser un combat de fleurons entre Philippe II et Rodrigue pendant leur duo s'avère une excellente idée, renforçant la tension entre les deux personnages. A l'acte III, les jardins de la reine disparaissent pour laisser place au plateau nu, à l'exception d'une coiffeuse et d'une petite pièce en grillage rouge à jardin. C'est derrière cette grille que Don Carlos confond Eboli avec Elisabeth. Pour l'autodafé, le choeur composé d'officiers, de leurs femmes, de nonnes et de moines est placé dans un amphithéâtre. La cloison du fond de scène s'ouvre pour le faire glisser sur scène sous le son des cloches. Un rideau sépare l'amphithéâtre de l'avant scène où l'on voit Elisabeth et Philippe II, ivre, se préparer pour leur apparition publique tandis que les choeurs chantent. Si l'on peut regretter avec un peu de nostalgie les processions impressionnantes des mises en scène plus traditionnelles, il faut reconnaître à cette idée de Warlikowski une efficacité poignante. La joie et le délire du peuple offrent un contraste saisissant avec la violence des rapports entre Philippe II, Elisabeth et Carlos. Ici, point d'hérétiques brûlés vifs mais un prisonnier exécuté sommairement sous les yeux horrifiés d'Elisabeth. Après l'entracte, l'action se déroule dans le cabinet de Philippe II, pièce aux dimensions très réduites où le drame intime et familial s'amplifie. La prison de Don Carlos est une cage étroite et longue dans l'immensité de la scène nue. Pour l'acte V, l'action retourne une dernière fois à Saint-Just. Là, Elisabeth se suicidera par le poison et Carlos, au lieu d'être entraîné dans la tombe par Charles Quint, s'appliquera un pistolet sur la tempe, sans que l'on sache s'il tire ou non. La mise en scène de Warlikowski recourt régulièrement à la vidéo : projections du visage désespéré de Carlos au premier acte et à la fin de l'opéra, de celui d'Elisabeth et de Philippe II ainsi que de flammes, pendant l'autodafé, et d'un homme en dévorant un autre. Kaufmann Don Carlos Bastille, 2017Les second rôles sont tous excellents dans cette production. On retiendra en particulier les six députés flamands nuancés, Eve-Maud Hubeaux en Thibault à la voix charnue, Julien Dran en Comte de Lerne de haute tenue. Krzysztof Baczyk est un moine autoritaire, à la diction très claire sauf une fois, malheureusement, dans le final de l'acte V. Dmitry Belosselskiy est un Grand Inquisiteur écrasant d'autorité, dans ses insinuations pleines de fiel ("Rentrez dans le devoir ! […] Livrez-nous le Marquis de Posa !") que dans ses accès de colère ou ses coups de force ("Ô peuple sacrilège / Prosterne-toi devant celui que Dieu protège ! A genoux !").Abdrazakof Belosselskiy Don Carlos, Bastille, 2017Face à ce Grand Inquisiteur terrifiant qui, en trois apparitions très brèves, parvient à faire planer son ombre menaçante sur toute l'oeuvre, Ildar Abdrazakov incarne un Philippe II alcoolique, profondément solitaire, malheureux et violent. Jouant d'un timbre de bronze, d'aigus faciles et de graves bien timbrés, la basse russe dessine un personnage pathétique, autant victime que bourreau. L'acte IV est évidemment son heure de gloire. Fort d'une diction plus travaillée et précise que dans les actes II et III, Abdrazakov livre un monologue tout en nuance, émouvant dans sa simplicité ("Elle ne m'aime pas" chanté sans aucune affectation, très bas). 

Abdrazakof Tézier Don Carlos, Bastille, 2017Sonya Yoncheva, en prise de rôle en Elisabeth de Valois, a pour elle une timbre sensuel, une voix très bien projetée et un jeu scénique touchant. Elle est particulièrement à son avantage dans l'acte I. Ce premier duo avec Carlos est pour elle l'occasion de montrer toute son élégance et son aisance dans un aimable badinage puis dans les serments d'un amour heureux. Mais le rôle est sûrement trop long et trop grave pour la jeune soprano lyrique. A l'acte V, sa voix accuse la fatigue et cela s'en ressent notamment dans ses aigus. Reste une composition théâtrale très réussie qui permet de changer la jeune femme amoureuse en reine altière et fidèle à son devoir en toute crédibilité.Kaufmann Yoncheva Don Carlos, Bastille, 2017Alors qu'elle accomplit sa première prise de rôle chez Verdi, Elīna Garanča est incandescente en Eboli. Parfaitement homogène sur toute la tessiture meurtrière du rôle,  depuis des graves moelleux et abyssaux jusqu'à des aigus éclatants en passant par un medium charnu. Et quelle prestance ! Irradiant la scène de sa chevelure blonde, aussi belle en tenue d'escrime noire qu'en robe du soir rose, elle est parfaite dans le rôle de cette princesse intrigante et désespérément amoureuse. Son premier air, "Au palais des fées", est un chef d'oeuvre : les vocalises sont parfaites, le texte raconté avec ironie. Dans sa confrontation avec Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier, elle distille ses répliques comme du poison, chante avec un mordant et une dureté admirables. A l'acte IV, ses remords sont sublimes, aussi bien dans le quatuor que dans "O don fatal et détesté" où elle est si touchante, si digne dans une plainte chantée piano. Sans aucun doute, c'est elle la reine de la soirée.Garanca Tézier Don Carlos, Bastille, 2017

Formant avec Elīna Garanča, pour quelques instants seulement, au III, un couple particulièrement bien assorti, Jonas Kaufmann trouve en Don Carlos un de ses meilleurs rôles. Torturé, désespéré, obsédé par un amour impossible, voué au malheur, tel est le personnage qu'incarne le ténor allemand de sa voix barytonnante et mélancolique. Les  aigus détimbrés de ce héros romantique sont l'explosion déchirante d'une douleur contenue. Déjà dans le premier acte, le Don Carlos de Jonas Kaufmann court après une félicité qu'il sait perdue. La lamentation sur le corps de Posa est l'apogée de cette performance. Après une explosion de colère et de rébellion contre Philippe II dans l'acte IV projetée avec force et vaillance, Jonas Kaufmann chante avec une émotion poignante, une diction impeccable l'un des plus beaux moments de l'opéra, soutenu par Abdrazakov, des choeurs d'hommes exemplaires et la direction attentive de Jordan.

Kaufmann Don Carlos, Bastille, 2017

 

Jonas Kaufmann trouve en Ludovic Tézier le meilleur partenaire qui soit pour "Dieu, tu semas dans nos âmes". On ne répétera jamais assez combien ces deux voix sont faites l'une pour l'autre. L'entente des deux artistes est palpable, leur union parfaite. Le baryton français à la voix chaude et claire, aux aigus faciles trouve en Rodrigue l'un de ses plus beaux rôles. Excellent comédien dans ce personnage qui semble taillé pour lui, il est magnétique de bout en bout. Que dire de cette scène à la cour d'Elisabeth où il alterne avec brillo les flatteries à Eboli et sa supplique ardente auprès de la reine ? Que dire de cette puissance d'évocation dans son duo avec Philippe II où, d'une diction claire et précise, il décrit la situation de la Flandre ? Que dire de ce trio avec Elīna Garanča et Jonas Kaufmann où il réduit à néant toutes les réserves qu'on a pu avoir sur son jeu dans le passé ? Que dire enfin de sa mort, véritable paroxysme de l'émotion de l'opéra ? Quel baryton a jamais eu assez de longueur de souffle pour pouvoir chanter sans faiblir "Ah, je meurs l'âme joyeuse car tu vis sauvé par moi" sans respiration ? Assurément, Ludovic Tézier a livré dans cette production une interprétation pour l'éternité..

 

Abdrazakof Garanca Tézier Don Carlos, Bastille, 2017

 

Les choeurs de l'Opéra national de Paris sont particulièrement mis en valeur dans cette version de Don Carlos. De leur remarquable performance, on retiendra tout particulièrement les choeurs de paysans du premier acte, poignant. "Ô chant de fête et d'allégresse" chanté pianissimo et a capella était saisissant. De même, les choeurs masculins étaient-ils particulièrement émouvant dans la lamentation sur le corps de Posa. Philippe Jordan a su soutenir le drame pendant toute la soirée, maintenant une tension dramatique intense. La flûte pendant la mort de Posa était particulièrement aérienne, le violoncelle qui accompagnait le monologue de Philippe II admirable.

 

On retiendra pour longtemps ce Don Carlos, magnifique moment d'opéra, qui sans aucun doute deviendra une référence pour l'éternité.

Don Carlos, opéra en cinq actes de Giuseppe Verdi sur un livret de Joseph Méry et Camille du Locle, 1867

Don Carlos : Jonas Kaufmann

Rodrigue, Marquis de Posa : Ludovic Tézier

Philippe II : Ildar Abdrazakov

Le Grand Inquisiteur : Dmitry Belosselskiy

La Princesse Eboli : Elīna Garanča

Elisabeth de Valois : Sonya Yoncheva

Un moine : Krzysztof Baczyk

Thibault : Eve-Maud Hubeaux

Le Comte de Lerme : Julien Dran

Une Voix d'en Haut : Silga Tīruma

Un héraut royal : Hyung-Jong Roh

Coryphée : Florent Mbia 

Députés flamands : Tiago Matos, Michal Partyka, Mikhail Timoshenko, Tomasz Kumiega, Andrei Filonczyk et Daniel Giulianini

Inquisiteurs : Vadim Artamonov, Fabio Bellenghi, Enzo Coro, Constantin Ghircau, Philippe Madrange, Andrea Nelli et Pierapaolo Palloni

La Comtesse d'Aremberg (rôle-muet) : Chun Ting Lin

 

Direction Musicale : Philippe Jordan

Mise en scène : Krzysztov Warlikowski

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris

Opéra Bastille, 22 octobre 2017

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