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OpéraBlog
15 août 2016

Renoncer à tout... sauf à la musique

            Renoncement. C’est ce mot qui pourrait résumer la vision de La Donna del Lago de Damiano Michieletto. La Donna del Lago outre d’être l’histoire du renoncement de Giacomo V à son amour pour Elena serait également celle du renoncement de cette dernière, son renoncement à l’amour du roi pour épouser Malcom. Cette interprétation se base sur les liens très forts créés par la musique entre le mystérieux Uberto, alias Giacomo V, et la belle dame du lac ainsi que le silence écrit par Rossini juste avant le mot « felicità » dans la cabalette finale, cette suspension qui donne l’impression d’une hésitation d’Elena sur le choix du substantif adéquat à sa situation. Cette idée de départ ainsi présentée peut laisser sceptique mais le travail de Michieletto est si approfondi, si juste d’intentions que l’on se laisse vite convaincre par sa mise en scène. L’opéra commence par une scène sans musique et sans parole. Dans un salon, un vieil homme est assis, celle qu’on suppose sa femme est debout derrière lui. Elle tente de lui dissimuler ses regards à la bague qu’elle porte au doigt et à la photo du roi Giacomo V, posée sur une petite table basse. Enfin, elle sort chercher des fleurs qu’elle arrange dans un vase à côté du portrait, le vieil homme jette les fleurs avec violence et renverse l’eau sur la table. L’ouverture commence, la vieille femme bouleversée se souvient de sa jeunesse, les murs du salon s’envolent et nous nous retrouvons dans une maison de la fin du XIXème siècle aux vitres cassées et à moitié envahie par les joncs. C’est ici que se déroulera tout l’opéra, dans une scénographie irréelle, romantique, brumeuse et inquiétante, sous les yeux des vieux Elena et Malcom, elle regrettant amèrement d’avoir sacrifié son amour pour le roi, lui maudissant la manière dont le cœur d’Elena lui a été ravi. Dans cette atmosphère sinistre, les passions se déchaînent avec violence, Elena jetant avec horreur sa robe de mariée qui lui annonce ses noces avec Rodrigo, Duglas mettant dans les mains de sa fille une carabine en lui répétant « Ti dica questo amplesso, / che mi sei cara ancor. », Giacomo V s’arrachant à Elena avec douleur, Malcom et Rodrigo retenant à peine leur haine en appelant la victoire de leurs vœux. Le final voit la transformation d’Elena jeune en Elena vieille, retournant au salon conjugal où Malcom jette avec dégout sa montre, cadeau de mariage de Giacomo.

Florez Jicia La Donna del Lago ROF 2016

            La direction de Michele Mariotti épouse à la perfection cette sombre vision de l’opéra. D’une direction souple, aérée, il crée une atmosphère de songes confus et effrayants. Utilisant toutes les sonorités de l’orchestre du Teatro Comunale di Bologna, il suspend le temps pendant le duo « Vivere io non potrò », sublime de douceur et de mélancolie, enflamme les passions guerrières et amoureuses du final du I, cloue la salle de terreur et d’angoisse dans le trio Elena/Giacomo V/Rodrigo et sait exprimer toute l’ambiguïté du rondo final.

            Les chanteurs suivent parfaitement le concept de Michieletto et Mariotti, conjuguant tous présence scénique et prouesse vocale. Albina serait un rôle traditionnel et banal de suivante sans sa magnifique partie dans le final du I où sa voix s’élève au-dessus de celle des druides (ici le chœur entier des guerriers) pour invoquer le temps où reviendra la paix. Ruth Inesta sait conférer à son intervention toute la magie et toute la poésie voulue, vocalisant de sa voix pure, claire et ronde, apaisant le torrent de passions qui l’a précédée.

Abrahamyan Brito Jicia Mimica Spyres La Donna del Lago ROF 2016

            Marko Mimica est un Duglas violent et belliqueux à la voix profonde mais souple comme le montre le rythme inhabituellement rapide de sa cabalette « Ma già le trombe squillano ! ». Son personnage est d’autant moins sympathique que toutes ses répliques de remerciements au final du II ont été coupées et qu’il reste donc muet devant la grâce qui lui est faite.

Jicia Mimica La Donna del Lago ROF 2016

 

            Le rôle de Rodrigo, avec ses sauts de registres, est un des plus périlleux écrit par Rossini. Michael Spyres, bien que possédant une timbre particulièrement agréable, n’est pas vraiment à la hauteur, avec des graves rauques et des aigus systématiquement en falsetto dans son aria di sortite. Au II, pour sa confrontation avec Giacomo V, il paraît bien meilleur avec plus d’homogénéité et une plus grande orthodoxie dans le style. Pour le reste, son aspect en scène correspond parfaitement aux impressions que peuvent laisser l’œuvre de Walter Scott. Il apparaît comme une sorte de monstre, mi-homme, mi-géant, violent, incapable de compréhension et de sentiment.

Florez Spyres La Donna del Lago ROF 2016

            Varduhi Abrahamyan, ovationnée après chacun de ses deux airs, possède un magnifique timbre de contralto, plein, chaud, riche de mille couleurs androgynes et d’aigus lumineux. Alliant à cet avantage donné par la nature un parfait respect du style rossinien et une colorature sûre et sans faille, elle s’impose avec facilité dans le rôle de Malcom, lui conférant autant de charme qu’au roi.

Abrahamyan La Donna del Lago ROF 2016

            Juan Diego Florez fêtait cette année les vingt ans de ses débuts éclatants au ROF qui l’ont consacré comme chanteur de niveau international. Depuis 1996, le ténor péruvien n’a cessé de se perfectionner dans ce répertoire rossinien qui lui sied si bien et auquel il est le seul à rendre aussi bien justice. Avec une voix lumineuse, naturelle, immédiatement séduisante, des aigus faciles et percutants, des nuances pianissimo tendres et songeuses, un art de la colorature à toute épreuve, il fait de Giacomo V un héros romantique, mélancolique et forcément malheureux, « un Werther généreux » pour reprendre la formule d’Alberto Zedda.

Florez La Donna del Lago ROF 2016

            Face à ces trois prétendants, chante la jeune soprano géorgienne Salome Jicia dont la carrière n’est encore qu’à l’état de début. Et c’est en réalité un début très prometteur qu’elle réalise, illuminant la scène en héroïne « pâle et blonde », digne sœur d’une Lucia di Lammermoor ou d’une Elvira d’I Puritani, notamment dans le final du I. Le timbre est particulièrement agréable à écouter, les aigus sont rayonnants et généreux, le médium fruité et la voix puissante. Tant d’atouts en font une Elena inoubliable, aussi inoubliable que la représentation entière.

Jicia La Donna del Lago ROF 2016

La Donna del Lago, mélodrame en deux actes de Gioachino Rossini sur un livret d’Andrea Leone Tottola, 1819 

Elena : Salome Jicia

Giacomo V – Uberto : Juan Diego Florez

Malcom : Varduhi Abrahamyan

Rodrigo : Michael Spyres

Duglas : Marko Mimica

Albina : Ruth Inesta

Serano / Bertram : Francisco Brito

Elena anziana : Giusi Merli

Malcom anziano : Alessandro Baldinotti

 

Direction musicale : Michele Mariotti

Mise en scène : Damiano Michieletto

Orchestra e Coro del Teatro Comunale di Bologna

Rossini Opera Festival (Pesaro), Adriatic Arena, le 11 août 2016

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15 août 2016

Homogénéité parfaite

Le lendemain de l’ouverture de la trente-septième édition du Rossini Opera Festival, est présenté au Teatro Rossini Il Turco in Italia dans une nouvelle production signée Davide Livermore. Celle-ci utilise la très usitée, mais excellente quand elle est bien exploitée, idée du théâtre dans le théâtre. C’est ainsi que l’opéra ne commence pas par l’ouverture mais par une scène parlée où les membres de la ditribution presse Pietro Spagnoli de trouver une intrigue. L’ouverture commence et des images projetées nous montre ce-dernier s’endormir et « s’envoler » pour trouver l’inspiration. Par la suite, affublé au I d’une toge et accompagné par une équipe de figurantes jouant sa secrétaire, la script etc., Prosdocimo à sa machine à écrire invente l’histoire de l’opéra, transposée dans les années 50, changeant son cours en écrivant des dialogues de dernières minutes, filmant la scène des masques. La scénographie est assez dépouillée. Au I, un bâtiment blanc avec un balcon occupe l’arrière de la scène tandis que le devant est transformé à l’aide de quelques accessoires (un tonneau chez Prosdocimo, des draps blancs ondulants pour la mer du port, des tables et des chaises chez Fiorilla). Le II fonctionne sur le même système jusqu’à l’air de Don Geronio « Se ho da dirla, avrei molto piacere », chanté en avant-scène devant des rideaux blancs. Par la suite, on se retrouve sur le plateau de tournage du film de Posdocimo, grand espace vide, à l’exception du fond où se trouve un grand escalier noir, où les machinistes déplacent des bouts de décors. La mise en scène se trouve très fidèle au livret, excepté l’inexplicable travestissement d’Albazar, la longue barbe arborée par Zaida qui semble faire l’étonnement puis les délices de Selim et l’état de prêtre de Narciso. Ce dernier parti pris surprend d’autant plus que, dans le programme, on trouve parmi les dessins pour les costumes un Narciso en chemisette et pantalon. La direction d’acteur est impressionnante, aussi bien que les déplacements complexes et parfaitement orchestrés des chœurs.

Peretyatko Schrott Il Turco in Italia ROF 2016

Speranza Scappucci dirige avec beaucoup de vitalité un Filarmonico Rossini piquant et plein de verve. Extrêmement à l’écoute des chanteurs, elle soutient la mise en scène en adaptant chaque phrasé, chaque nuance, chaque intention à la situation du plateau.

Chez les chanteurs, tout le monde évolue à un excellent niveau avec presque aucun déséquilibre. Pietro Adaini est un Albazar d’abord timide avec une certaine tendance à s’effacer dans les ensembles. Mais dans « Ah ! sarebbe troppo dolce », le fameux « air des sorbets », il se révèle un comédien drôle et spirituel doublé d’un chanteur très agile avec un timbre clair mais rond et des aigus faciles. On entend ici la promesse d’un excellent ténor. Cecilia Molinari prête à Zaida une voix très pure et lisse alliée à un jeu volontairement excessif et appuyé.

Dans le rôle de Prosdocimo, Pietro Spagnoli déploie avec un naturel bluffant sa connaissance infaillible du répertoire rossinien et son timbre si aisément reconnaissable, à la fois rugueux et brillant.

Spagnoli Il Turco in Italia, ROF, 2016

Le jeune ténor américain René Barbera arrache à la salle conquise un rugissement de plaisir après un « Tu seconda il moi disegno »  anthologique. Avec une énergie et une fougue incroyables, il chasse en quelques secondes son étrange personnage de prêtre pour devenir un homme furieux, jaloux et assoiffé de vengeance à la voix chaude et cuivrée, aux aigus puissants et sûrs, à la santé vocale étonnante. Comme si tous les désirs de ce prêtre plutôt effacé se déchaînaient en un instant pour produire un « justicier » de chair et de sang.

Nicola Alaimo est accueilli aux saluts par une ovation des plus chaleureuse et enthousiastes. Et comment en effet ne pas aimer son Don Geronio ? Impressionant de clarté dans la diction, possédant le timbre le plus sympathique, le plus chaleureux qui soit, magnifiant chaque phrase de son rôle par un art du bel canto sans concession à la facilité, le baryton italien s’impose aussi comme acteur. On ne peut que l’admirer, jouant un mari à la fois si amoureux et si excédé, si docile et si honteux de l’être. Son duo « Per piacere alla signora » avec Olga Peretyatko le montre si digne de pitié, si tendre et si drôle qu’on ne peut pas lui résister bien longtemps.

Alaimo Il Turco in Italia, ROF, 2016

Olga Peretyatko est une Fiorilla ravissante, aussi belle dans ses costumes années 50 qu’époustouflante dans ses vocalises. Bien que piquante et pleine de charme dans « Non si dà follia maggiore », c’est dans son second air, « Squallida veste, e bruna », qu’on l’a préférée. De cette voix chamarrée aux mille reflets qui l’ont rendue célèbre, la soprano russe dessine des vocalises aériennes, les couronne d’aigus à couper le souffle, exprime tout son désespoir dans un pianissimo sans fin et nous laisse muet d’une admiration doublée par l’impassibilité de l’artiste devant la sonnerie de téléphone insistante qui tente de la déstabiliser.

Peretyatko Il Turco in Italia, ROF, 2016

A une séduisante et gracieuse Fiorilla revient un truculent et charmeur Selim. Erwin Schrott apparaît pour la première fois dans un halo de lumière tamisée, sous une lune aux reflets exotiques, coiffé d’un turban rouge et blanc, brandissant son sabre d’or. D’emblée, on apprécie ce Selim légèrement cabotin qui envoie des baisers aux belles italiennes en faisant admirer ses muscles. Vocalement, le timbre profond et riche de la basse uruguayenne ainsi qu’un respect du style exemplaire séduisent tout autant.

Schrott Il Turco in Italia ROF 2016

A la fin du spectacle, les sourires rayonnants des artistes comme des spectateurs montrent bien que le plaisir se trouvait ce soir-là des deux côtés.

Adaina Alaimo Barbera Peretyatko Schrott Spagnoli Molinari Il Turco in Italia, ROF, 2016

Il Turco in Italia, drama buffo en deux actes de Gioachino Rossini sur un livret de Felice Romani, 1814 ?

Selim : Erwin Schrott

Donna Fiorilla : Olga Peretyatko

Don Geronio : Nicola Alaimo

Narciso : René Barbera

Prosdocimo : Pietro Spagnoli

Zaida : Cecilia Molinari

Albazar : Pietro Adaini

 

Direction musicale : Speranza Scappucci

Mise en scène : Davide Livermore

Filarmonica Gioacchino Rossini

Coro del Teatro della Fortuna M. Agostini

Rossini Opera Festival (Pesaro), Teatro Rossini, le 9 août 2016

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